« J’étais fils de restaurateurs. Quand j’étais jeune, je me suis juré de ne jamais devenir patron. » Et puis voilà… Bruno Oger a été salarié pendant 25 ans, puis il s’est installé avec son épouse au Cannet. Nous avions souvent évoqué ce sujet avec lui et nous voulions aller plus loin ensemble, pour que son expérience partagée serve aussi à ceux qui souhaitent passer le pas.
Un témoignage recueilli il y a quelques temps, où beaucoup vont se retrouver.
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Le déclic
« 2009 : Soit je partais à l’international (j’avais déjà passé 4 ans à Bangkok), soit je m’installais. Nous souhaitions rester à proximité de Cannes. Nos enfants ont grandi là, on se plait ici. Et puis je voulais garder mes relations privilégiées avec le Festival. Au Cannet, on est proche mais en même temps j’étais content de quitter la croisette. Je n’étais pas un homme de palace. Il fallait trouver un endroit qui nous corresponde. Cette maison était abandonnée depuis 40 ans, taguée, les fenêtres étaient murées et l’herbe nous arrivait à la taille. Il y avait cette cour intérieure, ces arbres, on savait qu’on allait en faire quelque-chose. Avec mon épouse Hélène qui m’a toujours soutenu, on s’est lancé en ouvrant au départ un petit restaurant gastronomique de 24 fauteuils. Aujourd’hui le bistrot de 150 couverts est complet. J’étais Grandes Tables du Monde au Majestic de Cannes, donc quand je me suis installé ici, j’ai appelé Marc Haeberlin. Rapidement, nous avons eu 2 étoiles avec les labels Relais et Chateaux et Grandes Tables du Monde. On a eu raison. »
Chef propriétaire
« J’ai été salarié, donc je sais bien quelle implication on peut avoir même si on n’est pas chez soi. Mais quand tu deviens patron, tu deviens responsable économique des gens qui t’entourent et de leur famille. Tu ouvres le matin et tu fermes le soir. C’est important pour moi d’accueillir les gens et de leur dire au revoir quand ils partent. D’ailleurs, chez un chef patron, tu vas chez lui, dans sa maison. Tu dois sentir cet état d’esprit d’honnêteté et de transparence. Et on doit sentir cette différence. »
« “ Gérer en bon père de famille “, j’adore cette expression : c’est la finalité d’un chef–propriétaire. Tu conduis ton affaire et le compte bancaire familial de la même manière. »
Magique, la liberté ?
« Le statut de chef patron peut avoir un côté magique, tu fais ce que tu as envie. Ma cuisine est aboutie parce que j’ai cette liberté de faire ce que je veux avec les ingrédients que je choisis. Après il, faut savoir lire un bilan… On ne peut pas se permettre de perdre de l’argent, sinon on ferme. Tu réfléchis quand tu veux acheter un four, tu fais attention à ton avance de trésorerie, c’est une logique différente. Par contre, vis à vis des clients, ça ne doit pas se voir. Ils veulent avoir les mêmes prestations dans un deux étoiles ici ou là. La gastronomie est rentable si l’on sait la gérer. Le modèle du “gastro plus bistrot “ est une bonne formule. Il n’y a aucune perte. On cuit le jarret et on cuisine bien les parures pour les farcis. »
L’audace
« Celui qui s’installe est un audacieux. Il a le courage d’hypothéquer sa maison. Mais celui qui est un salarié totalement investi prend également des risques. Il vit sa passion et reste malgré tout sur un siège éjectable. Le prix de la liberté coûte cher. Les risques économiques sont énormes, quel que soit le projet. »
Comprendre ton entreprise et t’adapter
« Avant de trouver l’équilibre de ton entreprise, pour la comprendre et voir comment elle vit, il faut bien 5 à 7 ans. Quand tu crées un fond de commerce, tu n’as pas de points de repère. Tu as la connaissance technique et le savoir-faire mais pas l’expérience de l’entreprise : il faut cette capacité à se remettre en question et avoir cette faculté de changer de stratégie rapidement. Dans mon bistrot mon ticket moyen était trop élevé. En trois mois, j’ai baissé les prix. Il fallait réagir vite. »
Ma règle du jeu
« Quand on est chef-patron, on vit surtout une aventure humaine. On se doit d’être souple et de trouver des solutions. Deux jours et demi de repos et le partage équitable des pourboires entre cuisine, salle et bureau : c’est ma règle du jeu. C’est respectueux des gens qui travaillent ensemble ici. C’est aussi un projet d’équipe parce que le noyau est solide : avec Jacques, Eric, Sylvain et Hélène, on discute des plats et on les valide tous les cinq. Et puis, il faut la stabilité. Cette relation de confiance fait partie de mon équilibre. En ce moment, on a dix nationalités différentes : des russes, des japonais, des thaïlandais, des italiens… Quelle richesse ! Cela nous donne une sacrée ouverture d’esprit. »
« Je n’ai jamais compris ce langage, cette manière un peu violente de se parler dans certaines cuisines. Et on ne doit pas payer les erreurs des autres. Je n’ai jamais eu de souci pour recruter. Je les trouve et surtout je les garde. »
Si c’était à refaire ?
« Je m’installerai plus tôt ! Aujourd’hui je fais la cuisine que j’aime, sans contrainte, je vis ma passion. Nous sommes en ultra vigilance, la maison est tenue et les clients sont heureux de voir la stabilité des équipes qui s’occupent d’eux. On a su donner du caractère à cet endroit pour que ca ressemble plus à une maison d’hôte, avec le charme d’une petite maison privée. Nous souhaitons garder notre authenticité et notre bienveillance. »
Conseils à celui qui s’installe
1/ Avoir une lucidité économique : veiller à sa trésorerie, dès l’ouverture, sinon on se plante.
2/ Faire la cuisine qu’on aime, pas celle qui est à la mode.
3/ Rester à l’écoute du client. Si on te dit qu’un plat ne va pas, ne le laisse pas tel quel.
Ma diagonale entre Bretagne et Méditerranée
« Entre mes origines bretonnes et ma vie d’aujourd’hui dans le sud, j’ai tracé dans mes plats une sorte de diagonale qui me guide chaque jour. Ma cuisine se confirme au fil des années : c’est celle que j’aime. Mon fil conducteur c’est l’iode. Les berniques, une sauce au muscadet et le clin d’œil au sud avec le fenouil. Un jus de cébettes et des artichauts confits, mais du beurre de Roscoff. Du cidre breton dans le jus d’agneau. Une base de kouign-amann et des fruits de saison d’ici, des pêches et des abricots. Après, mon plat phare (le « loup citronnelle ») s’explique par notre histoire personnelle : mon deuxième pays, c’est Bangkok. »
Les Madeleines géantes
de Bruno Oger
Pâtissier : Sylvain Mathy
- 90 grammes de poudre d’amande
- 90 grammes de farine
- 230 grammes de sucre glace
- 45 grammes de miel de lavande
- 7 blancs d’oeuf
- 230 grammes de beurre
Préchauffer le four à 190°C (Th 9). Préparer un beurre noisette et le laisser refroidir. Tamiser la farine et le sucre glace puis ajouter la poudre d’amande. Ajouter petit à petit les blancs d’oeufs crus tempérés. Travailler pour obtenir une pâte homogène. Passer au chinois le beurre noisette sur le miel de lavande. Ajouter petit à petit dans le mélange précédent. Laisser reposer la pâte pendant 15 minutes. Mélanger une dernière fois la pâte avant de la verser aux deux tiers dans un moule à « Madeleine géante ». Fendre la pâte sur la longueur et y verser un petit trait de beurre pommade avec une poche pâtissière munie d’une toute petite douille ou à l’aide d’un cornet en papier cuisson : cela « guidera » la fente de la madeleine pendant la cuisson. Enfourner à 155 degrés (Th 5-6) pendant 50/55 minutes.
Version en moules à Madeleines individuelles : Première cuisson 5 minutes à 190°C (Th 9). Entrebâiller la porte du four et laisser encore cuire 7 à 8 minutes à 160°C (Th 8).