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Chefs responsables : des actes !

by Anne Garabedian

Au-delà de la prise de conscience, les chefs passent aux actes. Et les potagers donnent du sens à la démarche même si on ne vise pas l’auto-suffisance. Lors du Sirha Green, les restaurateurs ont affirmé concrètement leur implication : Régis Marcon, Christian Têtedoie, Glenn Viel et Christophe Aribert nous expliquent leur engagement de A à Z au quotidien. On pose aussi le sujet du bio et du modèle agricole pour nourrir la France et on se demande si les clients peuvent choisir un restaurant sur le critère responsable. Bref, on réfléchit ensemble et on avance.

« Vertueux ? Non, c’est juste normal »

Glenn Viel nettoie les abords de Baumanière avec son équipe et explique en quoi le potager donne du sens à la démarche : « Le potager est visible des clients mais on n’en fait pas des tonnes non plus. Il ne nous suffit pas pour nous approvisionner et cela nous coûte plus cher de faire nos légumes que de les acheter à notre maraîcher. Mais le but du jardin n’est pas d’être rentable, c’est juste gratifiant, cela donne du sens à ce qu’on fait. Avec l’équipe, nous faisons aussi du nettoyage en nature autour de Baumanière. Il y a un manque de civisme effarant. Beaucoup de gens continuent à jeter des saletés par terre ou par la fenêtre et ça ne s’arrange pas vraiment. »

Pour Glenn Viel, cet investissement de l’équipe n’est pas «vertueux», il est normal : « C’est comme si vous voyez un gamin qui vous dit bonjour. Vous allez vous étonner en disant “oh mais qu’est-ce-qu’il est poli ! “ Ben non, c’est normal. Nous, c’est pareil. Cette implication nous semble évidente. Il n’y a pas de grand ou de petits cuisiniers, il y a des gens qui s’investissent ou pas. »

Nourrir la France 

C’est le dossier phare de notre Magazine Le Cœur des Chefs Numéro 8 à paraître le 5 octobre. Comme un préambule, lors du Sirha Green 2020 s’est posé le sujet de l’agriculture et du Bio et nous avions sous la main un chef impliqué (Glenn Viel) et un expert renommé (Alexander Wezel).

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Pourrait-on nourrir le monde avec du bio, demande Michel Tanguy, animateur des tables rondes : « Si on prend en compte l’ensemble des surfaces actuelles, on ne peut pas l’envisager », reconnaît Alexander Wezel, Directeur de la recherche en agroécologie à l’Isara de Lyon. « Mais certains modèles sont plus optimistes. Cela dépend de la manière dont on voit les choses et des indicateurs choisis. »

Ce que je peux vous dire, c’est qu’à l’heure actuelle, 70 % du maïs consommé dans le monde est destiné à l’estomac des bêtes. Donc si on continue à manger autant de viande, on n’y arrivera pas. 

Alexander Wezel

 « Nous sommes en train d’appauvrir nos mers et nos terres », alerte Glenn Viel : « Nous avons de moins en moins de variétés de blés disponibles alors qu’il y en avait peut-être mille autrefois. » Alexander Wezel confirme : «Aujourd’hui, l’Egypte, autrefois grenier à grains du monde, manque de blé. »

Puis Alexander Wezel pose la question des primes versées à l’agriculture : « Obtenir des subventions pour payer sa production industrielle : voilà comment fonctionne le système actuel » explique-t’il. « Ces subventions sont en fin de compte payées par le consommateur, via des taxes, qui se retrouve donc à financer une agriculture défavorable à la terre de son pays. C’est le résultat d’un ultimatum posé autrefois aux céréaliers à qui on avait demandé de produire en masse. Mais ce n’est pas toujours le cas : en Nouvelle Zélande, il n’y a pas de subventions pour l’agriculture. » Pascal Philibert (Philibert Savours) ajoute alors un mot sur le prix du lait : « On n’est pas capable de payer le lait à un tarif convenable pour les producteurs et on préfère en acheter à prix bas en Hollande.»

(Pour aller plus loin sur ce sujet, lire le dossier « Nourrir la France » dans le magazine n°8, parution 5 octobre 2020) : S’abonner pour le recevoir et accéder à tous les contenus du site.

Choisir un restaurant sur le critère responsable

Sur la table ronde « Juger la qualité du restaurant sur ses labels », on fait le point sur les différentes distinctions « vertes ». Pour saisir le contexte, on part des critères de choix d’un restaurant. Le client tient compte surtout du lieu, du plaisir qu’il en attend, tient compte du prix et de la qualité des produits. Le Collège Culinaire de France n’est ni un label ni un classement mais un état d’esprit partagé sur lequel il est difficile de placer des critères mesurables. Ecotable, qui se décrit comme un facilitateur de la restauration durable, souhaite que demain le consommateur choisisse aussi son restaurant en regardant de plus près son engagement responsable : « On manque d’informations sur les pratiques environnementales des restaurants », explique Fanny Giansetto, Ecotable) « Nous aidons le chef à éplucher ses achats et ses factures afin de l’accompagner dans sa démarche. Parfois il pense être vertueux mais ne l’est pas car nous allons au bout de la traçabilité de ses fournisseurs et il peut avoir de mauvaises surprises. » 

Plusieurs catégories

Selon Ecotable, on a d’une part les distinctions déclaratives qui ne sont pas vérifiées, (type l’étoile verte Michelin ou FIG), les distinctions analytiques où les pratiques sont analysées, les communautés associatives comme le Collège Culinaire de France et enfin les labels avec un cahier des charges et une réelle vérification des pratiques en fonction des obligations. Tout le monde peut créer un label tant qu’il met en place un cahier des charges et un moyen de vérifier son application. Chez Ecotable, les thèmes vérifiés vont de l’approvisionnement à la santé en passant par l’entretien, l’eau, l’énergie, les déchets, la provenance, la transparence et l’aspect social.

Des choix éclairés

« Parfois, le client pense que ses achats sont responsables en achetant du Bio et associant le logo AB à du local, responsable, de saison et sans aucun traitement. C’est quand même un problème. », commente Célia Tunc(Pour aller plus loin sur ce sujet, lire l’article « Le Bio, la vraie valeur des choses » dans le magazine n°8, parution 5 octobre 2020)

Le coût de l’engagement

Christian Têtedoie nous parle franchement : « On recycle tout : on n’a plus de poubelles de la Ville de Lyon, uniquement des entreprises spécialisées qui viennent récupérer chaque catégorie de tri. Cela coûte 35000 euros par an d’être engagé à ce point. Tout le monde ne peut pas le faire, mais c’est une vraie volonté. J’ai pris cette décision il y a 5 ans et nous avons aujourd’hui le label Greenfood : Avoir la labellisation comme objectif vous oblige à aller plus vite dans la démarche. A la tête de 11 établissements, Christian Têtedoie défend la notion de « ensemble on est plus fort » au sein des Maitres-Cuisiniers, du Collège Culinaire de France, d’Eurotoques ou encore de l’Académie Culinaire : « Toutes ces initiatives ont l’objectif de créer du lien. Nous avons tous la tête dans le guidon mais nous devons combattre le repli sur soi et penser au profit du bien commun. »

Chez Régis Marcon, tout est également trié et le compost est déshydraté. Le chef de St Bonnet-le-Froid défend l’ouverture : « Il faut aller voir ce qui se passe ailleurs. Je suis allé découvrir un système d’aération en Autriche par exemple. Sur le thème responsable, il y a des tas de jeunes restaurateurs, en France et ailleurs, qui font avancer tout le monde et nous montrent la voie. Et ce ne sont pas forcément des étoilés. On doit les écouter et échanger entre nous. »

« Oui ! Il est possible d’avoir des lieux en totale adéquation avec la nature. » « Les gens nous amènent ce qu’ils ont imaginé. On apprend de l’autre, on ne sait pas toujours comment s’y prendre mais on avance ensemble. »

Christophe Aribert

Des exemples concrets

Christophe Aribert témoigne concrètement de son engagement responsable dans sa maison d’Uriage et de sa manière de « co-construire » avec les fournisseurs afin de trouver des solutions ensemble : « Je ne voulais pas d’un nouveau lieu mais redonner vie à un bâtiment de deux siècles. Je pense aux générations futures, je souhaite que la maison soit encore là au siècle prochain. Par contre, on a essayé de prendre tout en compte : j’ai réduit ma taille de fourneau et je calcule l’énergie strictement nécessaire à mes besoins. L’eau est filtrée à l’arrivée et à la sortie, nous avons deux grands nettoyages de la cuisine puis deux nettoyages intermédiaires mais en faisant très attention à ne pas utiliser beaucoup d’eau et nous allons compléter avec un système de récupération pour l’arrosage l’an prochain. Pour les produits, je cherche à en mettre peu mais qui lavent bien. Nous sommes dans la démarche du Plastic free alors nos tissus sont seulement protégés de cire d’abeille, on a mis du Dekton sur nos plans de travail et de l’inox recyclé dans la cuisine. On essaie d’aller le plus loin possible avec notre matériel et le cuisiniste avait bien pour mission d’avoir cette conscience-là en tête. Je travaille avec des gens qui sont proches de nous, totalement habités par notre démarche et je leur ai demandés qu’ils vérifient bien que l’ensemble des matériels installés soient conformes aux objectifs de recyclage que nous nous sommes fixés. Tout est trié et les entreprises viennent chercher la graisse, le carton, le bois etc… et on sait exactement où ça va. »

Des fournisseurs responsables, ou pas…

Les experts de Resto France Experts (RFE) conseillent de consulter les fiches « acteurs » en accès libre sur le site de l’Ademe pour « vérifier que votre fournisseur est à jour et respecte bien ses engagements ». 

« Fais attention à ton coût-matière »

« Mon papa était très économe et j’ai été éduqué comme ça. Mon grand-père était boulanger je me souviens qu’il cornait toutes ses coquilles d’œuf avec son pouce. C’est à la fois l’entrepreneur qui réfléchit, mais aussi le citoyen qui fait attention aux ressources. »

Christophe Aribert

Un petit point « poissons »

Elisabeth Vallet (directrice d’Ethic Ocean) fait un point sur l’état des stocks de poissons lors de la table ronde sur les ressources halieutiques au Sirha Green. « On a besoin des alertes des ONG suivies d’une vraie prise de conscience des consommateurs pour que cela bouge. Il faut garder en tête trois critères importants : l’état du stock, la technique de pêche et la taille minimale de maturité. Le bar en Bretagne est dans le rouge et sa pêche est toujours autorisée. Les stocks de cabillauds de nos côtes sont en train de s’effondrer alors que l’Islandais se tient bien : le local n’est pas forcément un critère de durabilité pour les ressources marines. Certaines espèces de raies et de requins sont également en difficulté. Parfois la pêche n’est pas la seule responsable : l’anguille, qui remonte les rivières pour se reproduire, est en voie d’extinction car nous avons perturbé son habitat. » Alain Perrillat complète : « Le lac du Bourget ne se refroidit plus assez l’hiver, le silure y a fait sa place et on manque de Feras. Il semble également que nous ayons eu quelques problèmes génétiques dus aux échanges de poissons réalisés entre différents lacs lors des lâchers d’alevins. »

« Si mon pêcheur n’a pas pêché de Lavaret cette semaine, il n’y en aura pas à ma carte et je n’irai pas en chercher ailleurs. A nous d’éduquer nos clients. »

Alain Perrillat, (Atmosphères, Lac du Bourget), 

Elevage ou pas élevage ?

Plusieurs questions en une avec ce sujet, car tout est lié. Tout d’abord, on est actuellement à 52% d’élevage pour 48% de sauvage. « La première espèce élevée dans le monde est la carpe, notamment pour sa consommation importante en Asie. Le saumon arrive en 4ème position », explique Olivier Canonne, responsable développement durable chez Sysco. « Le saumon et la daurade sont des carnassiers, il faut les alimenter avec des farines de poissons sauvages, de porc, et on complète avec des farines végétales de soja, avec ou sans OGM. Certains élevages peuvent être de grande qualité mais ils dépendent quand même de ce type d’alimentation. »

Premier événement à essuyer les plâtres

La tenue du Sirha Green prouve, à petite échelle, certes, que l’on peut tenir une manifestation masquée et dans le respect des distances. C’est pénible pour tout le monde, mais cela permet d’échanger. Une semaine plus tard se tenait Omnivore au Parc Floral de Paris avec bien plus de monde, mais toujours dans le respect du masque. 

Voir également les moments forts d’Omnivore 2020 selon « Le Cœur » en suivant ce lien :

Galerie Photos :

 

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