Le 22 novembre 2018 se déroulaient les épreuves du MOF Cuisine au Touquet. Une immersion incroyable « au coeur de l’action ». Je me souviens de tout : de la marche à pied au petit matin pour rejoindre les candidats, de mon interview du jury calée avec Maximin dans l’entrebaillement d’une porte et de cette tension qui ne nous a pas lâchés pendant 48 heures. Retour sur le MOF cuisine 2018 : on vous emmène avec nous.
Le Touquet, 22 novembre 2018.
Une brume épaisse enveloppe le jardin qu’il faut traverser pour rejoindre le lycée hôtelier dont la tour se dresse dans la nuit encore noire. Ici, on dirait que le soleil se lève beaucoup plus tard ! C’est le début d’une longue journée trépidante qui va pourtant se dérouler souvent de manière silencieuse, dans un calme relatif : tout le monde bouillonne, mais de l’intérieur. Candidats et jury sont dans les starting blocks, on les accompagnera jusqu’au soir.
L’interview des vice-présidents
Les candidats n’ont pas encore commencé et le jury est encore libre : c’est le moment de réunir les trois lieutenants de cette finale, Jacques Maximin, Christophe Quantin et Michel Roth. Ils ont déjà la journée d’hier dans les pattes et une idée globale des difficultés rencontrées par les candidats. Autour d’un café, on mesure la chance d’avoir ces trois-là en interview à quelques minutes du début des épreuves. Grâce à leur éclairage, on aura une toute autre manière de suivre le concours. Chaque geste des candidats nous semblera plus clair, intégré dans une logique construite et réfléchie, dictée par une organisation calée au millimètre, chronométrée.
« C’est pas compliqué »
On entre tout de suite dans le sujet. Depuis quinze jours, les chefs qui coachent les candidats nous disent : « Le sujet est costaud à tenir en cinq heures. S’ils sortent les plats dans les temps, c’est déjà pas mal… » Christophe Quantin reconnaît : « Oui, c’est vrai, il y a un peu de ça… » De son côté, Jacques Maximin reste droit dans ses bottes : « Non, il n’y a pas de piège. C’est pas compliqué, il faut avoir la maîtrise du métier. »
La clef : savoir déléguer
« Une fois que le thème est posé, il faut savoir le gérer », explique Michel Roth. « Il y a des choses à faire dès le départ. Et là, ils doivent démarrer par la Pavlova. » Pendant ces deux semaines d’entraînement, les candidats ont d’abord mis leurs plats au point, puis ils se sont concentrés sur leur organisation. Il faut rationnaliser les gestes et les déplacements pour gagner du temps, mais surtout décider ce qu’ils vont confier à leurs commis. « C’est l’une des clefs : savoir déléguer les bonnes tâches » disent-ils en chœur.
L’équité
C’est le moment d’entrer en piste. Les trois vice-présidents vont rejoindre les membres du jury et pensent aux candidats qui se préparent : « Là, ils sont au portillon de la piste de ski, ils attendent le départ », commente Christophe Quantin. « Ils vont dérouler la recette et devront se rattraper s’ils font une faute de quart. » Une course de bosses qui dure cinq heures.
Jacques Maximin explique le concept d’un sujet « technique mais avec une grande liberté » : « Ils ont une grande latitude. Sur la farce du lièvre « style à la royale », on ne donne pas plus d’indications. Sur la Pavlova, sur la crème Chiboust et l’aspic, tu fais comme tu veux ! Idem pour les garnitures, la purée, tes cuissons, ta sauce… On t’a donné le cadre, maintenant tu as carte blanche, vas-y. Le mec (ou la fille) est propriétaire de son propre destin ! » « Et c’est là qu’est l’équité aussi », complète Michel Roth. « Ils ont tous le même temps d’exécution, des formes précises, mais chacun cuisine avec son propre univers et les goûts sont différents. »
Il vous aurait plu, ce sujet ?
Michel Roth : « Oui ! Ce sont des plats alléchants, qui donnent envie d’être goûtés. Il y a des sauces, des jus, du rôti, des cuissons et un bon dessert. Tous ceux qui aiment la maîtrise de leur métier aimeraient ce sujet. »
Christophe Quantin : « J’aurais bien voulu le faire parce qu’il y a du gibier, beaucoup de cuissons différentes et de la technique, comme le piquage du hareng sur le lieu par exemple. »
Le coup de feu dure cinq heures
Trois cuisines, trois salles de dégustation, un long couloir devant et côté coulisses pour passer de l’une à l’autre. Et partout, le silence. Surtout en salle de dégustation : les chefs sont séparés par des cloisons et ne communiquent pas. Sans téléphone, ils attendent les plats suivants qui arrivent toutes les dix minutes. Quatorze lieux jaunes par jour pour les uns, quatorze lièvres pour les autres, quatorze Pavlovas pour les derniers.
L’attention de la découpe
« Candidat numéro 18 ». La Pavlova est présentée entière aux huit jurés. On fait tourner le plat sur lui-même pour que l’on puisse voir tout autour du gâteau. Sur la table de découpe, chaque geste compte. On ôte chaque petite meringue, on décolle l’aspic et on le pose à part. Aspics et pavlovas sont découpés séparément avec beaucoup d’attention. Certains gâteaux ne se tiennent pas et doivent être servis à la cuillère : pour l’équipe du Lycée Hôtelier du Touquet qui est à la manœuvre sur la découpe, c’est un réel déchirement de ne pas pouvoir dresser de belles assiettes afin de donner exactement les mêmes chances à chacun des candidats.
Rigueur et affection
Il y a de la part de l’organisation une attention permanente à ce que rien ne puisse leur être reproché, que tous les candidats soient dans une équité parfaite. Aucun contact entre les candidats et le jury. Dans la manière de dire « il vous reste cinq minutes », dans le ton seulement, on peut déceler un peu d’encouragement. Bien souvent, les jurés cuisine se retrouvent en milieu de salle et parlent à voix basse en regardant la pendule. Au cœur de l’action, leur complicité est évidente. Certaines brochettes sont mythiques comme le trio Philippe Girardon/Christophe Quantin/Jacques Maximin, les bras des uns sur les épaules des autres. On ressent tout au long du concours une exigence de rigueur et de sérieux. Aucun droit à l’erreur sur une organisation qui se doit d’être exemplaire. Et en même temps, l’état d’esprit laisse apparaître beaucoup d’affection, un esprit de transmission chevillé au corps, des valeurs qui passent d’une génération à l’autre.
Le jour se lève…
Dans la première cuisine, la lumière est enfin arrivée. Le soleil tape dans les vitres, un lieu jaune est dressé puis envoyé. Le candidat amène ses deux dernières assiettes au passe. Un coup de propre et on repart. Les croquis des plats sont scotchés sur les fourneaux. On n’entend rien d’autre que le bruit des fouets sur la Chiboust, quelques « Allez ! » qu’ils se lancent surtout à eux-mêmes et les consignes des candidats à leurs commis : « Tu mets 5 mn et ensuite on vérifie. Il faut qu’elle reste un peu croquante. Tu en as mis combien ? »
Salle de dégustation « Lieu jaune »
Un silence de mort. En attente du plat suivant, ils n’ont jamais été aussi sages, plongés dans leur sujet, un œil sur la montre. Le responsable du Jury Dégustation Joël Roy est le seul qui crée le lien entre les différentes salles. Je n’en vois pas un qui passe la tête derrière la cloison. Mais là, le prochain plat tarde. L’un d’entre eux s’inquiète : « Une minute de retard. Il lui reste encore deux bonnes minutes. Allez, à ce niveau-là, on peut en faire, des choses en deux minutes ! » Même le jury dégustation, totalement séparé des cuisines, est impliqué dans la réussite des candidats et espère que chacun restera dans la tolérance des trois minutes. Au-delà, pénalité. Après cinq minutes, on sera hors délais.
En cuisine, le jury en est désolé : « Un candidat peut avoir fait quatre essais à blanc avec de l’avance et avoir une heure de retard ici », explique Jacques Maximin. « Ce ne sont pas les mêmes feux, ce n’est pas le même four, il n’est pas chez lui. »
Un Gulf Stream venu d’Angleterre ?
De manière étrange, il n’y aura eu aucun retard la veille alors que plusieurs sortiront des clous le mercredi et c’est le cas pour celui-ci : « Messieurs, vous ne dégusterez pas le plat de ce candidat, nous sommes hors délais », annonce Joël Roy, désolé et malheureux. « Est-ce l’influence d’une sorte de Gulf Stream qui aurait traversé la Manche ? », me glisse l’un des jurés.
« Candidat numéro 28 au passe ». Deuxième jour du concours, c’est le dernier plat du dernier candidat. Le jury est en place, chacun à sa table. Certains attaquent rapidement, d’autres regardent l’assiette sous toutes les coutures, la soulèvent à hauteur des yeux, la tournent, sentent le plat avant de le goûter. Enfin, il y a les « décortiqueurs » qui détachent la partie supérieure du Parmentier, isolent un pétale de lieu et testent l’onctuosité de la sauce avec le dos de la cuillère. Tout est dégusté séparément, chaque texture est analysée à part avant d’être associée à une bouchée d’ensemble. « On valide d’abord la conformité avec Joël », détaille un juré. « Ici ce n’est pas un pavé, c’est un darne. Le poisson n’a pas été piqué dans le sens de la largeur mais de l’épaisseur : on est bon ou pas ? ». Le responsable de la dégustation reste de marbre : « Jugez, évaluez et on en reparle en délibération. » Joël Roy passe de salle en salle, l’œil sur la pendule : « Ça sort ici ? »
C’est du sérieux. Une conscience professionnelle à rude épreuve. Il est bluffant de voir que les assiettes repartent quasiment vides (ou du moins bien entamées) alors qu’ils en sont au 24ème lieu jaune piqué au hareng depuis hier matin.
Des souvenirs pour plus tard
Les élèves du Lycée Hôtelier du Touquet se souviendront longtemps de ces moments.
Les jeunes qui sont à la plonge ont « la meilleure place ». Ils sont quatre à nettoyer les plats et voient arriver par l’encadrement de la porte chaque candidat portant ses assiettes au passe. « D’ici, on voit tout, on est au cœur de l’action ! », disent-ils, ravis. Côté service, il y a dans le couloir une sorte de haie d’honneur qui patiente entre chaque envoi. Certains ont la responsabilité d’amener les assiettes aux jurys de dégustation, d’autres sont au service du pain et de l’eau et se tiennent, droits comme la justice, à la disposition des jurés. Derrière la vitre, les élèves attendent la fin des épreuves pour venir aider à ranger et nettoyer. Ils essaient d’apercevoir l’envoi du candidat qui termine, entouré par les jurés, feuille de note à la main. Tous sont conscients de la tension qui agite ces derniers instants.
Fin d’épreuve éprouvante
Dans cette cuisine, sur les six postes, un seul reste à envoyer. Les autres sont déjà rangés ou sont en train d’être nettoyés par des candidats totalement vidés qui grattent leurs plaques à la spatule. Que se passe t’il dans votre tête à ce moment-là ? « On se refait le film. Non seulement des cinq heures qui viennent de passer mais aussi des quinze derniers jours », raconte l’un d’entre eux. « J’ai vraiment raté mon concours, je le sais, et le résultat, je le connais… Donc je suis très triste. » explique un autre. « On ne pense à rien, on est fatigué. On pense d’abord à ranger et à finir et on a quinze minutes pour ça. Ensuite, on n’a qu’une envie c’est de sortir prendre l’air. Tu sors à la fois frustré parce que tu n’as pas tout envoyé comme tu le souhaitais, mais soulagé que ce soit terminé. » Ceux qui l’ont déjà passé se sont appliqués à laisser la pression de côté, (autant que faire se peut…) « Cette fois, je me suis dis : “ maintenant que tu es là, ce n’est plus la peine de stresser. “ On déroule ce qu’on a prévu et on ne pense pas à autre chose que la recette. »
Juste un galop d’essai
Cette année, ils sont sept sur l’estrade aux côtés du Président du jury Alain Ducasse. Touchés par la déception de ceux qui ne sont pas appelés, nous les encourageons pour la prochaine fois. C’était pour se mettre en jambe, d’accord ? On garde en tête que Franck Putelat l’a tenté trois fois avant de le réussir, on partage son bonheur et on s’accroche. Il reste trois bonnes années pour se préparer et on sera là.
Le palmarès
Les 7 MOF cuisine 2018/2019 :
- Renaud AUGIER – La Tour d’Argent à Tokyo
- Stephane COLLET – Lycée hôtelier Saint-Martin à Amiens
- Arnaud FAYE – La Chèvre d’Or à Eze
- Fabrice GENDRIER – Lenôtre à Plaisir
- Franck PUTELAT – La Table de Franck Putelat à Carcassonne
- Julien ROUCHETEAU – La Scène Thélème à Paris
- Frederic SIMONIN – Frédéric Simonin à Paris
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Plus de Photos, voir la Galerie ci dessous :
Au Coeur du MOF – TOUQUET 2019
1 comment
[…] Pendant ce temps, les jeunes de l’École hôtelière de Grenoble, site du Clos d’Or, accueillent le jury (cinquante chefs) pour la séance de dédicace organisées pour eux. Les uns se font signer une toque ou même leur veste. C’est l’occasion de discuter avec les chefs et ce moment nous rappelle Le Touquet : cet élan de jeunesse qui faisait une queue interminable dans les couloirs du Lycée pour rencontrer les chefs en 2018, on le retrouve en 2022. (Voir article MOF 2018 au Touquet) […]