Petite analyse de la victoire de la Team France au Bocuse d’Or. Pour ceux qui ne sont pas du tout familiers de cette histoire, notre engouement doit paraitre bien démesuré. Beaucoup se demandent en quoi un concours de cuisine peut soulever autant d’émotions collectives : nous allons essayer de l’expliquer ci-dessous. Et pour ceux qui n’y connaissent rien, on a préparé un « Bocuse d’Or pour les nuls ». En fin d’article, retrouvez le lien vers la galerie photo inédite. Rendez-vous sur l’Instagram du Cœur des Chefs afin de revivre l’événement via les instantanés et les vidéos.
Le palmarès Bocuse d’Or 2021
- Bocuse d’Or : Davy Tissot (FRANCE) / Commis : Arthur Debray (2428 points)
- Bocuse d’Argent : Ronni Vexøe Mortensen (DANEMARK) Commis : Sebastian Holberg Svendsgaard (2329 points)
- Bocuse de Bronze : Christian André Pettersen (NORVÈGE) Commis : Even Strandbrathen Sorum (2234 points)
- Prix du meilleur commis : Manuel Hofer (SUISSE)
- Prix spécial take-away : SUÈDE
- Prix spécial thème sur plateau : ISLANDE
- Bocuse d’Or Social Commitment Award : COLOMBIE
Pourquoi une telle jubilation ?
La victoire de Davy Tissot, c’est la victoire d’un cuisinier, d’une équipe, d’un pays. C’est l’aboutissement de deux ans de travail. Des milliers d’essais, des centaines de blancs. C’est une réflexion partagée, c’est du sacrifice, c’est du courage. C’est pour nous beaucoup de bonheur de voir toute cette équipe que nous avons accompagnée depuis le début, les piliers et les jeunes, tous ensemble exploser de joie. Et c’est formidable de partager ça avec tous ceux qui les ont précédés et soutenus comme Matthieu Otto et Romuald Fassenet, avec tous les cuisiniers qui les ont suivis, avec tous les supporters de l’association qui ont donné de la voix le jour J pour que Davy et Arthur soient portés par leurs cris.
On peut comparer cela à une victoire de coupe du monde de foot ou de rugby. C’est notre bouclier de Brennus à nous. Une sensation d’appropriation du succès par toute une communauté, pratiquement tout un monde, celui de la gastronomie.
L’envergure nationale et mondiale
- Au-delà de la joie simple de la victoire de son équipe et de son pays, le Bocuse d’Or a une envergure bien plus grande sur bien des points :
- Ce concours représente à lui seul un symbole des échanges entre pays sur la gastronomie de haut vol. Et quand une nation a une culture culinaire plus récente, participer est déjà une victoire et une grande fierté.
- Il permet de faire évoluer une certaine vision de la cuisine. Quand le comité décide de faire une épreuve « take away » et un « prix de l’engagement social », il met en lumière les enjeux majeurs de demain.
- En France, la team travaille sur le long terme. L’installation des locaux à Ecully et le fait de se projeter déjà sur les candidats de demain permet de aussi de participer à la réflexion globale sur l’essor des métiers de la gastronomie, notamment le projet porté par Guillaume Gomez pour fédérer les métiers de ce secteur. Il participe à leur attractivité et a valeur d’exemple sur la transmission et la formation.
- Comme tout concours, il démontre l’engagement collectif, la ténacité et l’esprit d’équipe que nous avons en commun avec le monde du sport.
Pour rappel : « Le Bocuse d’Or pour les nuls« …
Vous n’y connaissez rien en « Bocuse d’Or » ? On vous fait un p’tit résumé.
En 1987, Paul Bocuse créé à Lyon un concours international de cuisine, Le Bocuse d’Or. Au début, les candidats français sont souvent lauréats ou sur le podium, et cela dès la première année avec Jacky Fréon en 87, Michel Roth en 92, Régis Marcon en 95. On enchaîne avec le Bocuse d’Argent pour Yannick Alléno en 99, l’or pour François Adamski en 2001, l’argent pour Franck Putelat en 2003, l’or pour Serge Vieira en 2005 puis Fabrice Desvignes en 2007, le bronze pour Philippe Mille en 2009. Une petite pause puis Thibaut Ruggeri gagne l’or en 2013 et depuis, plus rien… Jusqu’à Davy Tissot, (MOF 2004, auparavant chef du restaurant Saisons à l’Institut Paul Bocuse d’Ecully) qui devient le Bocuse d’Or 2021 !
La traversée du désert
Depuis 2013, pas de podium pour la France. Hormis les USA qui font un job énorme en 2015 et 2017, ce sont surtout les pays nordiques qui sont au summum de leur forme : Norvège, Suède et Danemark sont bien souvent sur le podium. Rasmus Kofoed (Danemark, aujourd’hui coach de la team Danemark, Bocuse d’Argent 2021) a même décroché la trilogie ! (Bronze en 2005, Argent en 2007 et Or en 2011…)
Pourquoi on n’avait pas gagné depuis 2013 ?
Loin de nous l’idée de répondre avec assurance à une question pareille… Mais on peut quand même avancer les arguments suivants : le concours lui-même a évolué mais il a été créé dès le départ avec un angle artistique prioritaire, ce qui n’est pas dans la culture culinaire d’une équipe française. Pour nous, le goût sera toujours au premier plan alors que les autres équipes avaient bien intégré que l’efficacité percutante du visuel pouvait parfois, pour ce jury international, passer au-dessus de la technique et d’une dégustation fulgurante.
L’épure des nordiques, le goût des français…
D’autre part, les pays nordiques ont indéniablement marqué l’évolution de la cuisine internationale ces dernières années avec un sens de l’épure partagé par plusieurs pays d’Europe du nord. Il est donc assez probable que les membres du jury de ces pays aient souvent eu le même jugement sur les assiettes. Et si plusieurs membres sont raccord sur les mêmes assiettes… le podium est fait.
Et pourquoi on a gagné cette fois ?
Bon, d’abord « on » n’a pas gagné… « La Team France » a gagné. C’est toute une équipe soudée qui accompagne Davy Tissot depuis le début. Serge Vieira, Yohann Chapuis, Julien Dubois, Arthur Debray, Alizée Favre, Naïs Pirollet, Nicolas Ferrand, et Alain Le Cossec bien sûr. Il y avait autour d’eux nombre de chefs et de soutiens, mais au quotidien, c’est ce petit noyau incroyable qui a tenu bon la barre jusqu’au port.
Les chakras ouverts
Davy avait une vision très juste du concours, conscient de son évolution, il savait qu’il faudrait tenir compte de l’angle artistique puissant et ouvrir ses inspirations aux cuisines de tous horizons. Loin de rester sur sa posture de MOF/technique française, il a ouvert grands ses chakras en allant faire un tour du monde pour échanger avec ses confrères (voir le carnet de voyage de Davy Tissot dans le magazine n°7, à commander ici).
Davy trouve l’équilibre
Entre technicité de MOF, goût français et un sens de l’artistique hors du commun, Davy a trouvé l’équilibre qui nous manquait. À force de travail, les murs d’inspiration se sont remplis d’images et de phrases importantes. (Voir l’article sur le site « On y est presque » ) Symbole de ce contrepoids entre technique et artistique, son paleron en strates est une merveille et le goût très travaillé de la farce devait certainement être au niveau. La tomate en take away a été pensée dans un objectif de simplicité, de délicatesse, un côté « droit au but » du gustatif. Nous garderons en bouche à vie cet essai cet été de la tomate-dessert, comme un bonbon de tomate prune.
Le mental indestructible
Davy a de la bouteille, de la maturité et l’expérience des concours. Rien ne pouvait l’atteindre ou le déstabiliser. Extrêmement bien préparé, tout était au cordeau et les blancs étaient parfaitement au point. Les deux envois, take away et plateau, ont été dressés avec une minute d’avance, pas plus pas moins. Arthur Debray son commis a été impérial. Une machine de guerre. En même temps, Davy a l’énorme niaque du compétiteur et la forme physique d’un sportif de haut niveau. On était avec lui devant son box quand il attendait le top départ : Il faisait quand même un peu les cent pas dans ses six mètres carrés. Hâte d’en découdre. Mais terriblement serein. Le dialogue avec le coach Yohann Chapuis était calé depuis des lustres. Avant de démarrer, on a pu assister à un ballet quasi muet, celui de la répétition des gestes dans l’ordre de l’épreuve : Yohann indiquait chaque étape, Davy marquait ses déplacements dans le box. Prendre le paleron ici, prendre les boites ici, les poser là.
Et pourtant, le camion n’a pas démarré…
Nous étions sur place à 6H30, installation de Davy et Arthur dans le Box avec le commis de l’Institut Paul Bocuse, la team apporte tout le matériel et pousse les caisses sur scène. On assiste à un petit brief d’affection dans le box avant de commencer. Il est 7h30. « Et tu ne sais pas tout ! Ce matin à 4h45, le camion n’a pas démarré.. Davy est arrivé à ce moment-là : on tourne la clef et ça a fait « tchic ». Ben on a poussé… et s’il n’avait pas démarré on aurait pris la micra de Naïs et on l’aurait découpée à la tronçonneuse pour que le plateau rentre, et on aurait fait 28 aller-retours avec tout le matos, on serait venus à pied par l’autoroute, on n’aurait pas lâché. »
Comme un lyonnais en cage…
Quand tout est prêt, c’est une petite émotion pour Naïs, Alizée, Julien, Nicolas et Alain Le Cossec. David et Arthur vont démarrer, pour ceux qui sont en appui depuis le début, c’est un sentiment un peu étrange comme nous confie Julien Dubois : « On ne peut plus les aider dans le box, seulement les soutenir moralement. On aimerait faire plus… » 8h38 : dernière minute avant le début de l’épreuve. Ça fait 20 minutes que Davy tourne dans le box. Tout est calé, derniers mots échangés avec Arthur, dernier check avec Yohann, et on y va.
Pendant l’épreuve, la sérénité
Début de l’épreuve : 8h39
Envoi du take away : 13h34
Envoi du plateau : 14h09
Pour revivre ces moments, rendez-vous sur l’instagram @lecoeurdeschefs afin de visionner les vidéos prises pendant l’épreuve.
À quel moment on comprend que c’est gagné ?
Dans les coulisses, voilà comment ça se passe… On savait que Davy Tissot avait ses chances et qu’il avait fait un boulot grandiose. Que le podium était possible et même probable, mais à quelle place, ça on n’en savait rien. Alors au fur et à mesure que le palmarès se déroule sur scène, on prend confiance. Les prix Take away et Plateau sont passés, puis le bronze, et là on a commencé à comprendre. Et à y croire. Et à bouillir… Nous sommes passés par toutes les couleurs…
Quelques instants avant l’annonce du Bocuse d’Or, le Danemark prend l’argent. Et là on se liquéfie..
Conclusion ?
Depuis quelques années, nous avions l’impression que le Bocuse d’Or nous avait échappé. Davy l’a ramené à la maison.
Plusieurs sujets ont été réalisés sur le sujet du Bocuse d’Or ces dernières années : si vous souhaitez vous replonger avec nous dans les articles successifs, voici les liens ci-dessous ainsi que la galerie photo inédite. (A noter : Textes et photos sont la propriété de Le Coeur des Chefs : merci de ne pas utiliser sans autorisation.)
Aller plus loin sur l’évolution du concours :
Dès sa prise de poste de Président de la Team France en 2019, Serge Vieira nous raconte qu’en 2004, le candidat français était sélectionné lors d’un « Concours National de Cuisine Artistique » avant de passer la finale du Bocuse d’Or. Il nous disait alors : « Il ne faut pas se tromper de concours : on n’est pas au MOF. On le sait, c’est le visuel qui gagne aujourd’hui. Donc si on participe, on en tient compte. » Et on connait la suite…
Voir ITW de Serge Vieira dans le magazine n°6, à commander à l’unité ici, ou à lire ici.)
Le Bocuse d’Or dans les magazines :
Davy Tissot : Priorité au goût ou au visuel, that is the question : Commandez le Magazine n°9
Le carnet de voyage de Davy Tissot : commandez le N°7.
L’analyse du Bocuse d’Or par Serge Vieira : commandez le Magazine N°6.
« Ils n’ont pas failli » en 2019 : Matthieu Otto/Romuald Fassenet : Commandez le N°5
Un entraînement avec la Team France Matthieu Otto/Romuald Fassenet : Commandez le magazine N°4
Le Bocuse d’Or sur le site :
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