L’un est une fiction, l’autre un documentaire. Ces deux films sont des hommages à la grande cuisine française. Pour les grands passionnés de gastronomie qui apprécieront le rythme lent de la cuisine, filmée avec amour, ce sont des cadeaux. Nous sortions à peine du film « La passion de Dodin Bouffant », que nous avons adoré, et avons enchaîné avec le documentaire « Menus plaisirs » sur la Maison Troisgros. On vous raconte ?
« La passion de Dodin-Bouffant »
Nous avons adoré le film réalisé par Tran Anh Hung avec Juliette Binoche et Benoît Magimel. S’il est primé aux Oscar, ce sera sans doute autant pour la beauté des images que pour signifier une admiration sans borne à la gastronomie française. Ce film est un hommage total à la cuisine, il y a une sensualité dans la manière de filmer, dans les lumières, dans l’absence assumée de musique pour obliger le spectateur à se focaliser sur le son du couteau qui tranche le céleri.
L’éloge de la lenteur
Ce rythme lent ne conviendra pas à ceux qui n’ont pas la même passion que nous : il faut vraiment être fondu de cuisine pour aimer se plonger dans la longue réalisation de recettes qui ont pour seule ambiance musicale les bruits de cuisson et de coupe de légumes. Ça tranche, ça déplace les marmites de cuivre, ça mijote, mais ça ne parle pas beaucoup. Ce qui permet d’avoir sa concentration entièrement tournée sur la réalisation religieuse des recettes.
Bref passage amusant de Pierre Gagnaire en cuisinier du prince : le consultant culinaire du film, avec sa toque de style Antonin Carême, annonce par le détail un menu interminable, à quoi Dodin-Bouffant répondra par un pot-au feu d’anthologie.
Qu’il est bon de se remettre dans l’écrit d’origine, à commander chez Menu Fretin, évidemment, grand spécialiste des écrits anciens de notre spécialité, le livre de Marcel Rouff qui a inspiré « La passion de Dodin Bouffant ».
Petit souvenir : Le premier film du Franco-Vietnamien Tran Anh Hung, L’Odeur de la papaye verte, avant obtenu le prix caméra d’or à Cannes en 1993.
« Menus-Plaisirs », une immersion chez Les Troisgros
La Maison Troisgros, Michel et Marie-Pierre, César et Léo, et toutes leurs équipes ont accueilli les caméras de Frédérick Wiseman durant 7 semaines. Travaillant souvent seul, le réalisateur de 94 ans s’est facilement fait oublier dans un coin de la cuisine, et de la salle. Il a ensuite monté seul, durant un an, les 140 heures de rush.
Au final, une immersion de quatre heures…
Sorti le 20 décembre au cinéma (choisissez votre salle ci-dessous !), le documentaire de Frederick Wiseman promettait « Un voyage intime et sensoriel dans les cuisines d’un des plus grands restaurants du monde. » En effet, on est bien dans le sujet pendant 3H58 exactement… On le savait, donc nous n’avons pas été surpris. Mais on sentait l’étonnement de quelques spectateurs autour de nous dans cette salle d’art et d’essai. Seuls deux d’entre eux sont sortis à la troisième heure, sans doute avaient-ils trop faim après avoir vécu la mise en place des rognons !
Pour nous, une rencontre artistique !
Depuis des années, nous travaillons uniquement en immersion pour aller au coeur des cuisines, nous avions donc hâte de découvrir comment Wiseman allait retranscrire l’ambiance et la réflexion de travail de la famille. Avant « Menus plaisirs », nous ne connaissions pas le travail du réalisateur de Titicut Follies, (son premier documentaire en immersion en 1967 dans un hôpital pour aliénés criminels dans le Massachusetts). Nous avons été à la fois surpris et en territoire connu : pas de musique, pas de scénario, pas de voix off. Mais juste la vraie vie de la haute gastronomie.
Nous sommes en territoire connu
Nous avons donc eu l’impression de vivre sur écran l’une de nos immersions dans les cuisines, mais avec un truc en plus : l’interaction entre clients et salle, que nous n’avons pas encore osé saisir. Soit nous sommes en cuisine pendant la mise en place et le coup de feu et l’on se fait oublier, soit nous sommes en salle à vivre nous-même le service. Mais ici, Wiseman a convaincu les équipes et les clients de filmer également leurs échanges, et c’est une partie passionnante. On voit comment ils amènent la première rencontre avec le menu et l’adaptation constante aux contraintes des hôtes. Et l’ensemble des spectateurs compatit quand les équipes informent la cuisine des allergies et intolérances tellement nombreuses que le menu semble être un casse-tête. Mais non, les Troisgros ont toujours une solution !
Vivre collectivement la projection
Le fait d’être au cinéma permet de sentir les gens autour de soi, qui ont faim en même temps que toi, qui ont envie de manger les rognons sauce fruit de la passion que Michel et César Troisgros ajustent avant le service. On entend aussi quelques rires quand Michel goûte et regoûte l’assiette en réfléchissant aux quantités et à la puissance de la sauce Sriracha, mais finit quand même le plat en se régalant, ou lorsque la serveuse réajuste quatre fois le fauteuil devant le couvert, au millimètre près…
Une longue observation à distance
Quatre heures d’immersion dans un grand restaurant, il faut être passionné comme nous pour les apprécier à leur juste valeur. Bien sûr, le montage est très personnel et nous n’aurions pas fait les mêmes choix. Sans doute, nous aurions raccourci certains plans et zappé la scène de la visite de la fromagerie avec l’explication de l’affinage qui n’apportait pas grand-chose à l’interaction entre l’équipe et l’artisan, alors que les rencontres chez les producteurs avec César, Léo et Michel sont plus intéressantes dans les questions posées et les réponses données. Et nous aurions été heureux d’assister plus longtemps aux moments de mise en place, pour les écouter chercher ensemble comment améliorer tel ou tel plat. Mais quel bonheur de voir sous nos yeux les réflexions se construire et les services se dérouler !
L’envie de creuser
Le parti-pris du réalisateur est de nous laisser vivre le quotidien des équipes au naturel, sans intervenir. Mais certains passages sont passionnants et nous donnent l’envie de leur poser des questions pour creuser un peu plus, comme la vision de Michel Troisgros sur la transmission, le fait qu’après tant d’années passées à Roanne en tant que locataire, le projet « Ouches », avec l’intégration de ses enfants, lui a permis de s’ouvrir avec plus de liberté, comme une deuxième vie professionnelle.
La cuisine au naturel, sans scénarisation
Au Cœur des Chefs, quand nous travaillons sur des films comme des reportages, quand nous ne voulons pas scénariser ni refaire des scènes, mais juste vivre de l’intérieur le poumon de la cuisine, nous sommes totalement raccord avec cette intention de Frédérick Wiseman qui, lui, fait ça depuis 60 ans ! Et quand un grand comme lui nous montre la voie, cela nous rassure dans nos projets et nous donne envie de tenir bon.
Le synopsis officiel de « Menus plaisirs », sélectionné pour la Mostra de Venise.
« Fondée en 1930, la maison Troisgros détient trois étoiles Michelin depuis 55 ans. Enfants de la quatrième génération, les fils de Marie-Pierre et Michel poursuivent la voie de l’entreprise familiale ; César dirige le restaurant étoilé, Le Bois sans Feuilles, et Léo est à la tête de l’un des deux autres restaurants Troisgros : la Colline du Colombier. Du marché quotidien aux caves d’affinage du fromage, en passant par le vignoble, l’élevage bovin et le potager contigu au restaurant, Menus-Plaisirs est un voyage intime et sensoriel dans les cuisines d’un des plus prestigieux restaurants du monde. »
En savoir plus :
- Réalisation : Frederick Wiseman
- Durée : 240 minutes
- Année de production : 2023
- Sortie en France : 20 décembre 2023
- Pays : États-Unis
- Langue : Français
- Visa : 160856
- Format image : 1.85
- Format son : 5.1
- Image : James Bishop
- Montage : Frederick Wiseman
- Son : Jean-Paul Mugel
- Production : Frederick Wiseman
- Distribution France : Météore Films
- Presse France : Viviana Andriani – Aurélie Dard
- Ventes internationales : The Party Film Sales