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En immersion chez Christophe Bacquié

by Anne Garabedian

Pour sentir au plus près le palpitant du chef et l’adrénaline du service, on ne l’a pas quitté pendant deux jours. En toute confiance, il nous a laissé le suivre dans ses briefs et dans sa cuisine, au marché et chez ses producteurs. Il s’est posé pour discuter et nous a vraiment donné du temps. Et puis pendant le coup de feu, il a fait comme si on n’était pas là (et ça c’est magique…) Collés dans un coin du passe, le nez dans le fumet, on a pris la température du Castellet pendant le service du soir. Et encore le lendemain. Et on se languit d’y retourner.

Sur un écran collé au mur, on voit l’arrivée des clients. Très souvent, Christophe jette un œil pour savoir où en est chaque table. « On va prendre un bus » lancé du fond de la cuisine signale aux autres qu’ils arrivent tous en même temps. Entre le chef et son second, pas besoin de se parler pour savoir qui fait quoi.

Christophe goûte un jus, Fabien croque un artichaut, les assaisonnements sont validés. Fabien part au garde-manger pour faire pulser les poulpes pendant que Christophe dresse au passe. L’organisation de la brigade tourne alors légèrement, sans avoir besoin de le dire : ça se fait tout seul. Charles et Julien courent un poil plus vite et au chaud, les deux Simon tournent l’un à côté de l’autre, leurs mains se croisent au dessus des casseroles sans jamais se gêner. Grand Simon a la toque qui touche la hotte alors que petit Simon passe dessous. Tous les deux savent par cœur ce qu’ils ont à faire, l’un arrose, l’autre surveille une température sur la lèvre, les éléments sont tous prêts au même moment et posés au passe pour dressage.

« J’aime cette adrénaline du service. Tout ce qu’on met en œuvre est dédié à la construction de ce moment-là. C’est là que le match se joue. Je sais bien que je devrais arrêter de dresser et aller de l’autre côté du passe, mais je ne peux pas m’en empêcher. »

Dompter le temps

On est au millimètre pour enchaîner les étapes et coordonner les cuissons. Comme un ballet. Mais il faut aussi s’adapter, réagir vite. Service du jeudi soir, on entend quasiment que l’annonce des bons par Christophe. «Ça marche, cinq couverts : trois pois-chiche, deux tartares. A suivre, trois artichauts, deux tourteaux, deux Retours seuls. Trois langoustines, deux encornets, il y aura deux morilles seules. A suivre, trois merlus, deux pagres, et on terminera par trois veaux et deux rougets. » Tout glisse, tout prend sa place. Avant chaque annonce, le bon est discuté à voix basse entre Alexandre Sekli, le maître-d’hôtel, et le chef. Trois secondes leur suffisent pour le confirmer ensemble. On est totalement en sur-mesure : on sait, grâce au brief de 19h00, qui est dans la salle, ce que chacun a mangé la dernière fois, celle qui aime les oursins, celui qui adore les pommes soufflées.

Alexandre et son équipe vont au delà de la carte. Ils construisent le menu qui va faire plaisir et connaissent parfaitement les possibilités d’adaptation de ce service. Et surtout, les clients peuvent venir six fois d’affilée et manger des choses différentes. Ce soir, toute l’équipe a goûté le nouvel oursin. Christophe explique comment il est construit et d’où vient chaque produit : « Il faut conseiller de plonger la cuillère au fond pour avoir les différentes strates ». Ils peuvent maintenant en parler comme il faut. Aucun accroc entre cuisine et salle. Et si on n’est pas dans un déroulé du « dégustation », Christophe et Fabien chuchotent régulièrement au passe et ajustent les plats avec finesse pour ne pas remettre un jus qui ressemblerait à un autre.

« De plus en plus, je cherche à tilter dans les goûts sur les éléments principaux. Un gambon, un citron Meyer, des cebettes grillées qui sont cachées dessous : tu ne les avais pas vues mais elles sont déterminantes. » CB

Tout pour le client

Le vendredi midi, le service bouge autrement. Tout reste fluide et chacun est interchangeable, mais le chef trouve que certaines assiettes mettent plus de temps à se monter que la veille. Au moment où il faut les dresser fissa pour que tout soit synchro, il va les presser à la voix. « Oh, vous êtes trois, ça devrait sortir, les poulpes ! » On n’est pas dans un cocon moelleux, on est dans une cuisine qui vit, qui bouillonne, qui monte au coup de feu, qui a l’habitude de travailler ensemble, qui se lâche trois secondes sur une respiration pour se chambrer gentiment, puis s’y remet.

C’est tendu dans la concentration, dans la convergence de toute cette énergie collective mise au service du client.
Il n’y a que lui qui compte. Il est au centre de tout.

Depuis la troisième

« C’est énorme. Je ne peux pas mesurer le degré de joie ressentie. J’ai la chance de faire partie de cette famille des 28 Maisons trois étoiles. Les clients fidèles nous disent : « on a vibré avec vous, on a pleuré avec vous ! ». Mais je suis redescendu du nuage dès le lendemain matin. Je suis très heureux et à la fois très réaliste. Nous sommes très sollicités et Alexandra fait un gros travail de filtrage.

La troisième change beaucoup de choses sur l’organisation, mais pas dans ma tête. Il faut garder cette belle régularité sur des services toujours complets, les clients sont là pour nous le rappeler tous les jours. Maintenant c’est à moi de porter ces valeurs de transmission et de partage, de continuer à encadrer nos jeunes. Ils doivent être passionnés, continuellement en train de réfléchir, d’essayer, de chercher, et surtout apprendre la patience. »

A quoi marche Christophe Bacquié ?

Quand on demande à Alexandra quel est le carburant qui fait marcher Christophe, elle nous répond : « Il marche au vélo ! Il en a besoin. » Il n’arrivera peut-être plus à ses 10 000 bornes annuelles, mais rouler est nécessaire pour évacuer la pression et réfléchir. « Quand je suis tout seul, je pense à un plat, à l’organisation. Quand je suis avec les deux copains avec qui je roule régulièrement et qui sont plus forts que moi, je suis plutôt sur le challenge : je me dis qu’un jour, je leur mettrai une carotte ! »

Au-delà du plus loin possible

« J’ai toujours été comme ça. Je ne sais pas d’où ça vient. Je vais au bout, et au plus loin. Au-delà du bout. Je me souviens que gosse, je devais avoir 8 ou 10 ans, je faisais un col en vélo et il fallait que j’arrive en haut. J’étais mort. Quand j’ai atteint mon but, j’étais si défait que le vélo s’est couché sur le côté, je n’ai même pas eu la force d’enlever les pieds des pédales et je suis resté comme ça un moment, effondré par terre.

Rien n’aurait pu m’empêcher d’aller au bout. C’est pour ça que c’est compliqué de me suivre. Je sais que ce n’est pas toujours simple pour ceux qui sont dans notre cercle restreint, tout proche de nous. »

Passer le concours du MOF, c’est se dépasser

Tenace. Qui va au bout. Qui ne lâche rien. L’équipe admire le tempérament du chef Meilleur Ouvrier de France. Pour lui, le col est aussi un symbole de cette manière d’aller de l’avant à chaque instant : « C’est comprendre que tu dois te dépasser, c’est aller chercher au fond de soi quelque-chose qu’on ne soupçonne même pas. Être capable de refaire les mêmes gestes des centaines de fois, tenir juste grâce à la pression des quinze derniers jours et ne te lâcher qu’au moment où tu poses tes couteaux. Et là seulement, tu te permets de tomber.»

Alexandra

Bacquié

Alexandra Bacquié dirige l’Hôtel du Castellet. « C’est la boss et je suis le chef de cuisine », explique Christophe. Mais elle est surtout celle qui le connaît le mieux, qui sait comment il fonctionne. Sans aucun doute la seule qui ait le mode d’emploi complet du bonhomme. Elle l’apaise mais lui parle de manière directe. Elle l’admire mais elle tient ses positions. Parce-qu’elle a un caractère aussi fort, aussi impliqué que lui dans l’entreprise, parce-qu’elle a une vision d’ensemble de la maison, elle sait où mener le navire sur tous les aspects.

Si Christophe a un doute, c’est à son épouse qu’il demande de trancher. Et inversement. « Alexandra m’apaise, mais je reste entier. Disons qu’elle peut être un bon filtre quand je manque de tact… Sur la stratégie de l’entreprise, la gestion des hommes, c’est elle qui décide. On arrive mieux maintenant, avec la maturité, à se donner chacun son point de vue, à revenir sur des décisions pour trouver la meilleure solution. Et surtout, on échange sur la cuisine.

Comme on fait pas mal de tables ensemble, elle a acquis une belle bibliothèque du goût. A part Fabien, personne ne me dit quand un plat ne lui convient pas. Alexandra a cette capacité de se placer du côté client et elle me parle franchement. »

« Un jour, j’ai parlé à Alexandra des artichauts vinaigrette de ma grand-mère et je lui ai fait goûter un plat chaud avec un jus de volaille truffé qui n’avait plus rien à voir avec la promesse. Elle m’a dit : « C’est quoi, ça ? » Après réflexion, je me suis dit que je m’étais éloigné de la philosophie de départ et qu’il fallait recommencer.»

Les piliers :

La ruche du Castellet peut compter sur des appuis solides, comme Guillaume Lecomte qui gère le San Felice avec toute la confiance de Christophe et les équipes de salle complices autour d’Alexandre Sekli. « Il y a dans ces relations autant d’amical que de professionnel. » Chrystelle, leur ancienne maître d’hôtel est aujourd’hui adjointe de direction : « Elle est devenue petit à petit totalement indispensable à nos côtés, au quotidien. »

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Fabien Ferré

Après avoir amené son ancien second Guillaume Royer jusqu’au MOF, c’est Fabien Ferré que le chef va accompagner cette année. A presque trente ans, Fabien est tout à fait sûr de la qualité du coach : « Je sais qu’il ne va pas me lâcher. Il va me pousser. » Quand on partage notre perception de fluidité entre Christophe et lui au moment du service, il n’est pas étonné : « Entre nous, ça a marché tout de suite.

On a le même fonctionnement, on partage les mêmes valeurs, notamment celles du sport. » De son côté, le chef confie toute la confiance qu’il met en lui : « Fabien sait donner beaucoup. Il ne joue pas un rôle et peut tenir la maison tout seul sans problème. Il peut disparaître une heure si on a besoin de lui ailleurs. Charles et Julien peuvent aussi passer d’un poste à l’autre, je ne veux pas que la brigade soit figée. »

Loïc Colliau

En pâtisserie, l’équipe du petit déjeuner prépare les cakes au citron de demain pendant que Loïc boule les pains de ce soir. Marius prépare les Pavlovas du San Felice, un sirop se prépare pour enrober les ananas sautés. L’équipe travaille aussi sur les pâtes salées, les sablés au parmesan, les financiers, les crêpes, les brioches, les brownies…

Loïc a vécu avec émotion la deuxième étoile en Corse et la troisième au Castellet. L’expérience du salé ajoutée à la pâtisserie oriente sa construction des desserts : « On a des fonds, des jus, des cuissons, des réductions… Les fruits sont travaillés comme les légumes, sans ajouter de gras ou de sucre si ce n’est pas justifié. On caramélise, on assaisonne de vinaigre de gingembre, de poivre et d’épices. »

 

La décoration épurée

Les bords de table sont arrondis, chauds, doux au toucher, sensuels. « Depuis la Corse, je voulais enlever les nappes, mais il fallait que tout soit cohérent. Ça ne servait à rien de mettre les couverts de part et d’autre si on ne mettait pas d’assiette au centre, ou de placer un verre à Bourgogne si on en changeait au moment de la commande. Mon voyage au Japon m’a fait avancer sur le fait d’aller à l’essentiel. » Christophe Bacquié

La cave à fromage

Les deux caves sont côte à côte, juste à l’entrée du restaurant. Pierre s’occupe des fromages comme de ses bébés. Il vient les sortir avant le service, il vérifie leur température… Les clients viennent souvent eux-mêmes choisir leur plateau et il est très heureux de partager ce moment avec eux.

Les producteurs

« Eux bossent dans la terre et nous dans la cuisine. » Chefs et producteurs veulent travailler ensemble et doivent se comprendre, mais la relation doit être réciproque. « Il y a un lien à tisser, long à construire. C’est une relation d’homme, dans le sens relation humaine, avec des hommes et des femmes qui sont dans une certaine philosophie de travail.

On veut des producteurs locaux mais on a de sacrées contraintes. Je ne peux pas envoyer un gars de chez moi faire le tour de chaque producteur toutes les semaines ou recevoir seulement une caisse surprise le matin. Chez nous, c’est possible sur un article, mais pas sur une carte. Au San Felice, Guillaume Lecomte cuisine souvent les mêmes produits que nous de façon différente, ou pas les mêmes parties. On peut dire aujourd’hui que 85 % des produits du gastro sont locaux. Après, il y a aussi le room-service, le banqueting… »

Hormis Sylvain Erhardt (Les Asperges de Roques Hautes), Christophe a tissé des liens avec plusieurs producteurs locaux (Le safran de Sillans-la-Cascade, l’huile d’olive du Moulin du Partégal, les agrumes de La Londe-les-Maures…) comme les pois-chiches de Jean-Marie Henri à Rougiers : « Je ne travaillais pas le pois-chiche. Et là, je rencontre un gars extraordinaire qui a une histoire, qui veut que son produit, emblème de son village, soit remis au goût du jour. C’est notre amuse-bouche du moment. »

Le marché aux poissons de Sanary-sur-Mer

Ce n’est pas du cinéma. On ne va pas au marché aux poissons juste pour faire une photo sympathique. Christophe ou Fabien y vont tous les matins et ça ne triche pas : on se retrouve au kiosque (très, très tôt…) et commence par le café au bistrot habituel. Express : bonjour, au-revoir. On n’a pas pris la tasse en main qu’il est déjà reparti.

Sous l’étal de la famille Pilato, il y a la caisse du Castellet un peu cachée. Christophe va droit dessus et nous montre ce qu’il y a dedans aujourd’hui : « C’est pour ça qu’on vient ici : un denti de 8 kg, la soupe de roche, des bonites, des St Pierre, des rougets. » On y ajoute les poulpes, les seiches et les oursins (qu’on goûte d’abord). Faut pas traîner, le chef est à l’aise pour peser lui-même ses produits sur la balance, il annonce les poids de chaque poisson pendant que Jean-Baptiste remplit le bon. Un coup d’œil chez le maraîcher Jérôme Vernale, Christophe choisit ses sommités de brocolis minuscules, des navets et les premières fèves.

On embrasse Martine et Marcel, les parents de Jean-Baptiste, mais pas le temps de papoter avec Lucie qui leur amène à manger tous les jours, pizza aux anchois ou boulettes fumantes. « Feu, on s’en va. Ce matin ça va être chaud. » Le tourbillon Bacquié est en route. Et nous, on le suit.

Galerie Photos pour plus de Marché : 

Sommellerie à l’Hôtel du Castellet

Les accords de Romain
Chaque année, Romain Ambrosi part en vadrouille et traverse les grandes régions du vin. Le chef sommelier du Castellet va rencontrer les vignerons, grands domaines et petites structures, et revient avec beaucoup d’aisance pour en parler. Sur le poulpe et le pamplemousse, il nous donne ses coups de cœur.

 

 

 

Le poulpe, « Aïoli moderne »

« Le poulpe date d’il y a 5 ans. Au départ, c’est un plat familial, plutôt festif, qui se place au milieu de la table. On va l’amener à la gastronomie avec des légumes cuits dans un fumet de poisson et un sabayon d’aïoli servi à part. Depuis, il bouge grâce à des micro-évolutions : on y a ajouté des pamplemousses pickles et on le présente avec la pince dont on se sert pour dresser. Tout ce qu’on fait, c’est pour le plaisir du client. Et là, il peut attraper son poulpe avec la pince et le tremper dans le sabayon. » Christophe Bacquié

Poulpe cuit 4 heures à basse température, huile d’olive, zestes de pamplemousse et citron vert, poivre de Timut. Aïoli en sabayon. Romanesco, carottes, betteraves, chou-fleur, haricots verts, artichauts, navets, pommes de terre, salicorne.

Les accords :

« Chassagne-Montrachet , 1er cru Clos St Jean, Domaine Paul Pillot, Millésime 2015. Un domaine familial sur Chassagne, une production confidentielle, un Chardonnay dans sa plus pure expression, long en bouche. L’aïoli est assez aérien mais avec du goût : je ne veux pas remettre trop de puissance dessus, il faut plutôt rafraîchir le plat, le porter. »

Un accord local ? « Un Bandol blanc 2016, Domaine Marie Bérénice, de Damien Roux : un jeune domaine sur Ste Anne du Castellet, un des seuls blancs de cette appellation. Ce sont des vins avec vue sur mer, ça irait très bien sur le poulpe ! »

Le pamplemousse, eau à la Baie des Bataks

  • Pamplemousse segments, compotée de pamplemousse
  • Opaline
  • Infusion à la Baie des Bataks
  • Granité pamplemousse et Martini
  • Gel de Martini
  • Pamplemousse confit
  • Pickles de pamplemousse
  • Sorbet pamplemousse
  • Citron caviar

Les accords :

« Pour les agrumes, je choisis le Gewürztraminer : un vin moelleux d’Autriche, un cépage aromatique et fruité, frais et qui n’alourdit pas : c’est comme si on mangeait une grappe de raisins bien mûrs. Je suis le Domaine Bruno Landauer depuis quelques années. C’est un vigneron sensible, en perpétuelle recherche, qui dépoussière certaines appellations. Là, sur ce 2015, on a une fraîcheur, une tension, quelque chose de cristallin. Parfois on a des vins puissants mais qui n’ont rien à dire. Voilà un vin qui parle ! »

Un accord local : « Délices, La Ferme des Lices à St Tropez : un 100% Rolle aux arômes de fruits blancs, plus dense que le Gewürz. »

La température

« On travaille énormément la température des vins blancs et on carafe souvent. Entre l’ouverture et la carafe, on aura deux vins totalement différents. Quatre étapes : on ouvre au guéridon, on vérifie au nez et à la bouche qu’il n’y ait pas de défaut, puis on fait déguster au client et enfin on lui demande si la température lui convient. »

lien vers Le Montage Photo de 3minutes :

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