A chaque immersion, les échanges prennent la température du moment. Le chef se pose avec nous dans son contexte et évoque les sujets qui le travaillent. Et ce jour-là, Arnaud Lallement a évoqué la notion de choix. Le chef a la sensation que les clients des restaurants gastronomiques sont de moins en moins libres dans leur expérience : « Je ne veux pas qu’on les perde. S’ils ont la sensation de n’avoir plus aucun choix et d’être entourés de contraintes, ils n’auront plus envie de venir au restaurant. »De la même manière que j’ai le souvenir gustatif intense des plats, nos entretiens ont aussi une longueur en bouche.
La réflexion du restaurateur
Le chef de l’Assiette Champenoise replace son établissement dans son territoire. Il nous confirme que la région Champagne est déjà, en elle-même, terriblement attractive sur le plan gastronomique. Au-delà de cette clientèle touristique, l’équipe préserve avec force toute l’attention que mérite sa clientèle rémoise : le restaurant est complet, mais les locaux ont souvent la possibilité de s’assoir à une table mise de côté pour les habitués.
Être à l’écoute
L’écoute de ses clients dicte totalement l’ensemble de la démarche d’Arnaud. On est dans une maison familiale, un établissement fondé par son papa et où Arnaud poursuit l’aventure avec Magali son épouse, mais aussi sa maman et sa sœur Mélanie. Cette tradition de l’hospitalité trace la route à prendre, et c’est une ligne droite qui tient compte de la volonté du convive, en priorité absolue.
Les contraintes qui restreignent la sensation de liberté
C’est pourquoi, se rendant compte qu’une réservation au restaurant est de plus en plus associée à un certain nombre de contraintes, Arnaud remet sur la table la notion de choix. « C’est une prise de conscience assez récente. Je me suis rendu compte d’un ensemble de petits détails qui ont petit à petit atténué le sentiment de liberté d’un client au restaurant. On les contraint tout d’abord dans l’acte de réservation, puisque nous ne pouvons plus aujourd’hui faire autrement que passer par une empreinte de carte bancaire via un acte assez administratif qu’est la réservation via internet, puis dans l’heure d’arrivée pour mieux les accueillir, dans l’heure de passer à table ou de sortir de table si l’on a choisi de fixer des horaires de début et de fin pour le service, et dans le choix de ce que l’on mange et de ce que l’on boit. Beaucoup de restaurants ont aujourd’hui abandonné les cartes au profit du menu unique et orientent sur un accord mets et vins imposé. Une carte blanche s’entend totalement lorsque l’identité du chef le justifie. Mais si un jour tous les restaurants gastronomiques ne proposent plus que ça, nous risquons de faire des déçus. »
La liberté de décider
« Nous avons remarqué que les clients n’apprécient pas toujours cette restriction de leur liberté. Tous les jours, quand on leur présente la carte, nos convives s’exclament : “Ici, on a le choix ! “ Ils retrouvent le plaisir de décider eux-mêmes. La carte est courte et 80 % d’entre eux s’orientent vers le menu « émotion » qui est une carte blanche au chef. Mais ils ont eu le choix de le prendre ou pas, et de commander ce jour-là un plat en direct, s’ils le souhaitent. »
Le client doit rester le capitaine de son budget
Pour Arnaud, c’est une réflexion globale de la liberté du client, (qui doit rester seul maître de la manière dont il dépense son budget), qui se pose. « Si j’entre dans une très belle boutique, je n’ai pas envie que l’on me fasse un lot imposé de trois pulls et deux pantalons. Je pense à nos convives : je ne veux pas qu’on les perde. S’ils ont la sensation de n’avoir plus aucun choix et d’être entourés de contraintes, ils n’auront plus envie de venir au restaurant. »