Après la sélection européenne de Turin, le prochain objectif est en vue. La finale du Bocuse d’Or aura lieu au Sirha les 29/30 janvier 2019 et la Team France sera au rendez-vous. Pendant des mois, l’équipe a trouvé à l’école Ferrandi un cocon affectueux pour travailler et se concentrer. Autour de Matthieu Otto et de son commis Louis de Vicari, la petite ruche soutient, protège et accompagne le candidat. Chacun dans son rôle et tous pour la France.
Le jour de la compétition, il y aura énormément de bruit et de cris. Il faut qu’ils s’y habituent. Il y aura la pression des caméras, la gestion du temps et du stress. Au delà de l’entraînement technique, ces journées de mise en situation permettent de préparer l’équipe dans la sérénité pour que le jour J, rien ne puisse les atteindre.
Les réunions ont été organisées à l’Institut Paul Bocuse et les entraînements se déroulent à Paris. Depuis novembre, le coach Romuald Fassenet vient deux jours par semaine. Il nous propose de passer cette journée avec eux pour vivre au plus près leurs coulisses trépidantes dans l’espace qu’ils se sont construit au 3ème étage de Ferrandi.
En entrant, une première pièce fait office de sas. Quelques fauteuils et la machine à café permettent d’accueillir les soutiens et les partenaires. Tout est vitré, on aperçoit l’équipe qui commence à se mettre en place. Un box carré est placé au centre de l’ancien atelier de tentures et de nappages. De nouvelles mesures ont été transmises par l’organisation du concours, il a fallu modifier la configuration de l’espace construit entièrement à l’identique. Chaque centimètre de plus ou de moins pourrait modifier les déplacements, donc l’organisation. Au fond de la pièce, dans la seconde cuisine, des élèves de l’école s’affairent et appuient l’équipe de France au quotidien.
On avance devant le box, Matthieu et Louis sont déjà dans leur bulle. Ils nous saluent à peine, leur concentration occulte totalement le monde extérieur. On dirait Jacques Mayol qui s’apprête à disparaître dans le Grand Bleu.
Avant de plonger
Les coachs vont donner le top. Juste avant, c’est le brief collectif dans le box, façon mêlée de rugby entre les étagères pour resserrer les troupes. Ils sont seuls au monde. Romuald trouve les mots pour leur donner la niaque tout en préservant leur concentration :
« Soyez rassurés. Il y a beaucoup de caméras aujourd’hui, et c’est un bon entraînement pour faire abstraction de tout ce qui vous entoure. Mettez-vous la tête dans votre recette, ne sortez pas du cadre. Pensez chaque geste, chaque technique et respectez le déroulé qu’on a mis en place. Chaque finition de garniture fera partie de la note du jury. On est dans une histoire cohérente, mais si on ne respecte pas les règles à la lettre, on oubliera des choses. »
En écoutant le discours murmuré à son équipe, on a beau avoir la play-list détendue choisie par Romuald (aujourd’hui Queen et Supertramp), la tension est là. L’émotion aussi. Rendez-vous pour la sortie du plateau 5h30 plus tard.
La course contre la montre
A chaque entraînement, les chefs viennent aider par leur présence et leur soutien. Parmi eux Michel Roth, Philippe Labbé, Guillaume Gomez, François Adamski, Jérôme Jaegle, Franck Putelat, Serge Vieira, Régis Marcon, Nicolas Sale, Laurent Lemal, Bernard Leprince, Fabrice Prochasson, Christian Le Squer, Guy Krentzer, Emmanuel Renaut… Christian Nay et Jérôme Nutile sont un peu les papas de cette famille soudée. Jérôme avait même pour mission d’amener les cloches à Turin.
« Quand on m’a livré les 18 cloches à Nîmes, j’ai tout déballé pour les vérifier une à une. On n’en avait que deux de réserve, au cas où. Elles étaient si fragiles que j’avais une peur bleue d’arriver à la demi-finale avec une cloche qui aurait été abimée dans le transport. »
Certains sont là dès le matin, d’autres rejoignent l’équipe au moment de la dégustation. Pendant qu’il cuisine, Matthieu les a en face de lui et doit s’habituer à leur parler en même temps qu’il travaille, leur raconter ce qu’il est en train de faire. On arrive bientôt au dressage, la table est mise. Romuald brieffe le jury de dégustation : « Ces derniers jours, on a travaillé sur les automatismes, sur le temps, l’espace et le stress. Je définis des objectifs à chaque entrainement, aujourd’hui, on est dans le détail. Nous avons deux heures sur le box nu, puis cinq heures de travail sur des produits non élaborés pour dresser quinze assiettes à l’identique.
« Toutes les dix minutes, les membres du jury auront une assiette devant eux : il faut arriver à les captiver sur ce temps très court. On ne les connaît pas, on ne sait pas s’ils seront sensibles à l’histoire que nous allons leur raconter. » Romuald Fassenet
Le plateau
Le design qui accompagne la recette du chef revêt une importance que l’on n’aurait jamais imaginé. Le travail à faire sur ce plan est phénoménal. Romuald nous explique les contraintes et l’enjeu de ces aspects : « On raconte une histoire, celle de la Lorraine, celle de Matthieu qui vient de Sarreguemine. On imagine au loin la ligne bleue des Vosges, la montagne, le bois brûlé, la route du feu et des usines de verre, la fusion, le cristal… Cela évoque les lacs, la mousse, la brume et les matières. Les contraintes sont immenses. Le dessous d’assiette ne peut pas dépasser 500 grammes et il faut en faire quinze. Mais en même temps, tu sais que ton plateau va faire encore un petit tour par là, passe devant le jury, part en table de découpe. Donc il faut trouver des solutions pour que le plat soit encore tempéré. Il faut que la sauce et sa garniture réchauffent le plat. » Une équipe de designers très investie planche depuis février sur le projet global en passant de la création du plateau à la cloche transparente.*
La cloche
Philippe Labbé fait partie de l’aventure et assiste à tous les entraînements. « Le soufflé était mieux hier, le jus de ratatouille est mieux aujourd’hui, la tuile n’est pas assez fine. » Voilà, c’est direct, c’est constructif, il n’est pas venu pour rien.
Aujourd’hui la team lui demande aussi son avis sur les projets de mise en scène. Romuald l’assoit puis décompose devant lui le geste de service avec le prototype de cloche. « Là tu auras des fentes longues pour voir le plat, mais il faut que cela tienne. Qu’est-ce-que tu penses du degré de transparence ? » Tout est important, notamment comment placer ses doigts pour déclocher.
La confiance
Entre Matthieu et ses coachs, le respect et la confiance sont palpables. Ils passent tellement de temps ensemble qu’ils font partie de la même famille. Il sait qu’il peut les appeler jour et nuit. « Ils sont avec moi H24. Je ne pense pas que j’aurais pu avoir mieux. Ils ont une passion et une connaissance hors du commun.
« Romuald entend tout. Une casserole qui ne fait pas le bruit qu’il faut au bon moment, il le sait. Il peut me demander n’importe quoi. Il me demande de sauter, je saute. Il a un tel niveau d’implication… Il ne mâche pas ses mots, mais quand on vient de la Lorraine, ce n’est pas un problème, on sait encaisser. » Matthieu Otto
« On n’est pas là pour être gentil », reconnaît Romuald. « Quand une journée se passe moins bien, on débrieffe sans prendre de pincettes. Avant de démarrer cette aventure, Matthieu ne savait pas ce qui allait lui arriver. Ce soir il faudra qu’on reparle du jus, il n’y en avait pas assez. Les parures, les oignons, le vin rouge. Un jus peut sauver le plat. Mais il faut le vivre, le jus ! Au début, la pression était écrasante et il a fallu apprendre à y faire face. Un jour, il y avait avec nous 2 Bocuse d’Or et 5 MOF pour assister à l’entraînement.
C’était un honneur mais nous étions tendus. Il y avait la soirée de la Team France et certains sont restés avec nous jusqu’au petit matin. Matthieu voyait ces pointures qui nous aidaient à préparer les pesées pour le lendemain. Il a senti tous ces chefs qui étaient derrière nous, il a eu un petit moment d’émotion, c’était très fort pour nous tous.»
Derrière l’équipe, la ferveur est là et ils le sentent. On les suivra jusqu’au bout.
Les coachs
Romuald Fassenet pose les bases d’un duo complémentaire qui marche au diapason : « Yohann Chapuis s’occupe de tout ce qui se passe dans le box, je m’occupe de tout ce qui se passe en dehors et je raconte l’histoire. Et sans Yohann, je n’y serai pas allé. » Comme ça, c’est clair.
De son côté, Yohann aide Matthieu à réaliser techniquement les idées de Romuald, ce qui n’est pas une mince affaire.
« J’amène le côté sage. Je lui dis quand il va trop loin, quand ce n’est pas possible. Au bout de trois ou quatre fois, il peut l’entendre… Mais lorsqu’on a pris une décision, je me débrouille pour que ce soit réalisable. On a souvent les mêmes idées mais je pense à voix basse et lui à voix haute. Romuald s’exprime. Il porte l’équipe par sa force et son énergie, il nous donne la niaque et un cadre rassurant.»
Yohann coache Matthieu sur le côté technique. Il amène aussi la sérénité, le sens du détail. Il a l’œil : « Pas besoin de serrer ton rouleau comme un dingue. Voilà t’as le geste. » Il a laissé faire Matthieu pour qu’il aille au bout de chaque chose, pour qu’il prenne le temps de réduire ses jus pendant 1h30. « Il fallait déjà qu’il soit attentif à ses quatre feux. On a resserré l’étau petit à petit. »
Hormis Romuald et Yohann, l’équipe peut compter sur Anne Daudin qui coordonne la Team France avec énergie et bienveillance. Nicolas Sale a aussi donné de son temps pour entraîner Matthieu sur le plan sportif. Le Bocuse d’Or, c’est un marathon.
Bien dans sa tête
Il fallait aussi donner un moral d’acier à nos champions et c’est le rôle de Rosalie Bojoly : « Quand j’ai rencontré Matthieu, il préparait son oral du Bocuse d’Or France. Il était un diamant brut. La motivation était là, évidente, mais il n’avait pas conscience qu’il devait apprendre à la partager. Il allait passer devant François Adamski et Régis Marcon, il fallait l’aider à véhiculer ce qu’il avait dans le ventre.
Au départ, Matthieu se protègeait, il était toujours sous contrôle et il lui a fallu du temps pour se lâcher. Aujourd’hui, avec la confiance, ce n’est pas la peine de prendre de gants avec lui. Quand ça vient de Romuald, il encaisse tout, il écoute, il rebondit. » Rosalie appelle ça le « switch » : Matthieu passe très rapidement d’une situation négative à positive. Pendant notre conversation, la coach mentale observe attentivement ses poulains à travers la vitre. « Aujourd’hui, Matthieu est dans une énergie très positive. On a fait notre point du matin, on en refera un ce soir. »
*: Plateau réalisé par Mauviel – Cloches réalisées par la verrière Claire Pegis. Création plateau et cloches par RoWin’Atelier (Frédéric Rochette et Hervé Winkler)
Galerie Photos :
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