C’est le genre d’événement qui n’arrive qu’une fois dans sa vie : la vente aux enchères chez Christies du 23 mars 2023 va faire des heureux. « Le festin de Pierre », livres choisis de la bibliothèque gastronomique du baron Pierre de Crombrueche, met à l’honneur des ouvrages que nous n’avons jamais pu tenir dans nos mains. Le Viandier, le manuscrit d’Escoffier… Nous partageons avec vous le catalogue de la vente, qui est à lui seul un ouvrage marquant : dans un seul document est présentée une collection de 200 ouvrages indispensables pour les collectionneurs de livres gastronomiques.
Petit film de présentation : le manuscrit d’Escoffier et le Viandier, seul exemplaire complet connu
Le communiqué de Christies pour présenter la vente
Avec une sélection de livres provenant de la bibliothèque du baron Pierre de Crombrugghe et en collaboration avec les experts Jacques T. Quentin et Benoît Forgeot, Christie’s invite gourmands et collectionneurs à arpenter cinq siècles d’histoire de la gastronomie. La passion du baron de Crombrugghe tant pour l’art culinaire que pour la bibliophilie – conjonction du goût et du savoir – est à l’origine de la plus fameuse collection gastronomique de langue française en mains privées. Elle a été constituée durant un demi-siècle par l’amateur belge et aborde toutes les thématiques liées à l’imaginaire culinaire et son évolution à travers l’histoire. Les rayonnages de la bibliothèque proposent ainsi un très riche menu de traités sur la découpe des viandes, volailles et poissons, agrémentés de textes sur les truffes, les huîtres ou la boulangerie, sans oublier bien sûr la confection de desserts glacés, le thé, le café et le chocolat ni le dressage des tables ou l’art de plier les serviettes. L’ensemble de près de 200 ouvrages, estimé autour d’1,5 million d’euros, s’impose comme le rendez-vous à ne pas manquer avec la gastronomie et son histoire en forme de festin !
Notre planche préférée :
Dans le Cours gastronomique, ou les Dîners de Manant-Ville. (Ouvrage anecdotique, philosophique et littéraire. Paris : Capelle et Renand, 1809), figure une grande carte gastronomique dépliante de la France, figurant les spécialités les plus réputées de chaque ville ou région, comme les huîtres de Cancale, le jambon de Bayonne, les vins de Bourgogne, les truffes de Périgueux… En se penchant dessus, on note une grande prédominance des produits carnés et des vins. Beaucoup de vaches, de volailles, de tonneaux et d’alambics, sur cette carte d’il y a deux siècles ! Très peu de produits de la terre sont notés, hormis les olives au-dessus de Nice, la farine de St Flour ou les pruneaux d’Agen.
Le manuscrit de travail d’Escoffier en cinq volumes
L’une des pièces les plus extraordinaires de la collection est l’imposant manuscrit de travail, en cinq volumes, de la deuxième édition du Guide culinaire d’Escoffier. Après l’édition originale, parue en 1903, Escoffier s’attelle à une édition enrichie de son ouvrage pionnier, toujours considéré comme l’essai fondateur de la haute cuisine, tant sur le plan des recettes que sur celui de l’organisation des cuisines ou des brigades. Sauces, entremets, hors-d’œuvre, potages, terrines, rôtis : rien n’est oublié au fil des milliers de recettes, nourries de ses expériences au Savoy et au Ritz. Pour Auguste Escoffier, la cuisine, « sans cesser d’être un art, deviendra scientifique et devra soumettre ses formules, empiriques trop souvent encore, à une méthode et à une précision qui ne laisseront rien au hasard ».Si aux XVIIe et XVIIIe siècles, les ouvrages et les traités culinaires s’adressaient à une élite, royale, princière ou aristocratique, les publications au XIXe siècle s’adressent progressivement à un public plus vaste. On assiste notamment à l’émergence de traités de cuisine bourgeoise ou paysanne, c’est-à-dire une cuisine de terroir à l’encontre d’une gastronomie essentiellement parisienne. Le baron Pierre de Crombrugghe s’est ingénié à les traquer mettant ainsi face aux traités de haute cuisine Le Cuisinier Durand, “le Carême de la cuisine provençale” (Nîmes, 1830), La Cuisinière genevoise (1798 : édition originale, un des trois exemplaires connus) ou La Cuisinière du Haut-Rhin de Mme Spoerlin (1829).
Le seul exemplaire complet du Viandier de Taillevent
Pièce phare de la bibliothèque du baron Pierre de Crombrugghe, le Cuisinier Taillevant, ou le Viandier, est non seulement le premier livre de cuisine en français, mais cette édition incunable imprimée à Lyon vers 1495 est la première illustrée : elle est ornée d’un grand bois gravé représentant un cuisinier au fourneau. Il s’agit du seul exemplaire complet qui soit parvenu jusqu’à nous.
Le premier best-seller culinaire date de 1542
Véritable best-seller culinaire avant l’heure, le Livre fort excellent de Cuysine tresutille paraît un demi-siècle plus tard. Riche de plus de trois cents recettes, son influence est considérable durant toute la Renaissance. L’exemplaire proposé aux enchères est l’un des trois répertoriés de l’édition donnée à Lyon en 1542. Il est le seul en mains privées.
La Varenne en France, Platine en Italie
Le Platine en françois imprimé en 1505 est la version française d’un traité de cuisine et de diététique publié à Rome en 1474 par l’humaniste Bartolomeo Sacchi, dit Platine. L’œuvre connut, à son époque, un très large retentissement et révolutionna la cuisine en accordant plaisirs du palais et règles diététiques. Le plus redoutable concurrent du Taillevent était né : son règne s’étendra sur plus d’un siècle.La cuisine française moderne naît au siècle suivant grâce au Cuisinier françois de La Varenne : l’édition de 1656, parue aux Pays-Bas, est ici reliée avec un exemplaire du Pastissier françois, son pendant. Merveilleux recueil conservé en vélin de l’époque.
Cuisine et médecine cohabitent fréquemment dans les traités d’art de bien vivre. La bibliothèque du baron Pierre de Crombrugghe comprend ainsi un exemplaire du Tacuini sanitatis d’Ibn Butlan, médecin badgadi, dans une édition de 1531. Richement illustré, le volume comprend près de 300 bois gravés, représentant des scènes familières de gloutonnerie ou d’ébriété, des mets ou encore des ustensiles de cuisine. En 1687, dans Le bon usage du thé, du caffé et du chocolat, pour la preservation & pour la guerison des maladies, Nicolas de Blégny vante les vertus thérapeutiques de boissons “exotiques” alors récemment introduites en France. Le traité est publié au moment même où s’ouvrent à Paris les premiers cafés.
|
© Toutes les images sont issues de la maison Christies. Légende du visuel d’ouverture de l’article : Cours-gastronomique-ou-Les-Diners-de-Manant-Ville.-Ouvrage-anecdotique-philosophique-et-litteraire.-Paris-Capelle-et-Renand.