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Corsiglia : six générations de marrons glacés

by Anne Garabedian
Corsiglia

Dans les coulisses de la fabrication, nous voulons suivre chaque étape. Après la visite, on se pose ensemble dans la grande salle de réunion, QG de la famille. Et là, les deux générations expliquent combien l’une amène à l’autre. Alexandre écoute Jean-Louis qui déroule la vie des Corsiglia et raconte combien ses aïeux ont été courageux. Pour la première fois, il entend le patriarche glisser avec pudeur sa joie de voir ce petit-fils reprendre les rênes de l’entreprise familiale. Il y a de l’émotion dans ce fleuve de souvenirs pour ceux qui se parlent tous les jours mais ne se disent jamais combien l’un est fier de l’autre.

 

Une histoire qui se poursuit

Au dessus de Gênes, Corsiglia est un village de corsaires chassés par la famille Grimaldi. Sur les armes du village, un châtaignier monumental est dessiné. C’était écrit. Le grand-père de Jean-Louis s’installe en 1896 à Marseille, à mi-chemin entre l’Ardèche et la Corse, non loin de Collobrières et de l’Italie.

A Marseille, nous sommes à la croisée des chemins de récolte des châtaignes. Entre racines corses et italiennes, ces fruits vont dicter le chemin de toute une famille.

Corsiglia

Aujourd’hui, trois générations travaillent ensemble dans une remise en question permanente. Jean-Louis garde les achats de matières premières et la validation du produit fini. Son épouse Danièle traite l’administratif et les ressources humaines. En épousant un Corsiglia, « elle savait que ce serait un contrat de travail à vie. »

Leur fille Stéphanie s’occupe des grands comptes et de la clientèle parisienne. A 12 ans, leur petit-fils Alexandre jouait dans l’atelier avec son épée en plastique et les équipes l’ont vu grandir. En 2015, fraîchement diplômé d’une école de commerce, il rejoint l’aventure et développe le marketing et l’export.

« Mon grand-père avait imprimé sa passion en moi.»

En arrivant, il trouve « un produit toujours au top mais une entreprise qui a besoin de s’adapter au commerce d’aujourd’hui. » La famille est d’un naturel entreprenant : les initiatives d’Alexandre pour défendre la maison sont toujours bien accueillies. Avec lui, Corsiglia est reconnue Maître-Artisan et Entreprise du Patrimoine Vivant en 2017.

A 26 ans, Alexandre est un beau compromis entre la jeunesse dynamique et le respect de l’expérience, l’envie d’aller plus loin et l’amour du savoir faire à l’ancienne.

Pendant les périodes de fin d’années, tout le monde court : « Nous sommes tous sur les transpalettes et on décharge », raconte Alexandre, « nous sommes restés des artisans ». Certains collaborateurs sont là depuis longtemps comme David, 30 ans de maison, le bras droit irremplaçable. Il fait partie de la famille et déjeune tous les jours avec Danièle, Jean-Louis et Alexandre sur la grande table du salon. Cet endroit est le cœur du bateau Corsiglia. A la fois salle de réunion et salle à manger, c’est aussi le lieu du premier briefing de la journée.

C’est le rendez-vous du matin. Le café de 7h30 permet aux générations d’échanger. La personnalité charismatique de Jean-Louis peut stopper net certaines aberrations mais il laisse l’initiative du moment que la qualité du produit soit préservée. Quand les exigences des clients sont trop incongrues, si cela dénature le marron, il dit non.

Alexandre n’est pas un poil à gratter : « Je n’ai pas besoin d’être moteur : Jean-Louis peut appuyer lui-même sur l’accélérateur ! Il peut aussi tirer le frein à main s’il estime qu’on ne va pas dans la bonne direction. »

Corsiglia

 

Le secret de l’eau

Alexandre donne le ton de la modernité et Jean-Louis, heureux de cette génération d’écart, est souvent d’accord. « Il y a une osmose entre nous. Je lui amène mes années d’expérience : je sais si le marron est souple, onctueux, s’il est au bon degré. Je le rassure dans les moments de doute grâce à la bible que m’a laissée mon père. Quand je prends le temps de relire son carnet, je retrouve le secret de la réussite : c’est l’eau. Si l’eau de cuisson est de grande qualité, on aura moins d’évaporation et de perte de goût. »

« Alexandre a compris le produit, il est même plus strict que je ne le suis. Il pourrait très bien prendre ses décisions sans moi. Cette entreprise, c’est toute ma vie et grâce à lui, j’en fais toujours partie. Il m’a empêché de vieillir. »

 

Passage de relais

« Alexandre a bien plus de recul aujourd’hui que je n’en avais à son âge », raconte Jean-Louis. « Ma vie, depuis l’âge de 19 ans, c’est cette entreprise. J’étais un chien fougueux. Ma mère était une maîtresse-femme et mon père avait une patience d’ange. Il ne quittait jamais l’usine et moi je partais voir les clients. Il m’a laissé prendre sa place pour me laisser le champ libre. C’était un homme altruiste, d’une bonté incroyable.

Aujourd’hui je m’en rends compte et je souhaite faire la même chose pour Alexandre. Mes parents étaient heureux de voir que la maison allait continuer et c’est ce cadeau que me fait mon petit-fils aujourd’hui. Il amène l’enthousiasme. »

Corsiglia

 

Parlons technique !

 

Châtaigne et marron

La châtaigne est un fruit cloisonné : il y a dans la bogue deux à trois fruits séparés par une fine cloison. Dans le langage des confiseurs, le marron est la châtaigne travaillée et confite. Hormis les marrons glacés, purée, pâte et crème sont également disponibles pour les professionnels : il y a le même pourcentage de sucre dans la pâte et la crème, mais la crème détend la texture. Si l’on souhaite baisser le taux de sucre, on ajoute de la purée. Chacun fait son assemblage comme il le souhaite.

 

France/Italie

Il était important pour Jean-Louis que l’entreprise ait ses propres châtaigneraies françaises. La famille a acquis 15 hectares à Collobrières et a racheté la Confiserie Azuréenne. Les gros calibres nécessaires aux marrons glacés viennent d’Italie, (Turin, Naples et des montagnes environnantes), les châtaignes de Collobrières sont plus petites et sont destinées à la crème de marron.

 

Le savoir-faire

Jean-Louis Corsiglia est un vrai technicien. Il connaît son marron par cœur. Il voit tout de suite quand il faut réduire le temps de cuisson ou corser un peu le sirop. « Depuis 120 ans, il a fallu s’adapter aux normes d’hygiène et aux cahiers des charges draconiens des grands comptes qui venaient faire des audits avec leurs services qualité, repenser toute la fabrication, passer du cuivre à l’inox mais préserver le savoir-faire manuel. »

 

Le fruit et l’épluchage

« Notre métier, c’est confiseur », rappelle Jean-Louis. « D’ailleurs nous faisons aussi les agrumes et le gingembre confits. Nous avons fait le choix de mettre en commun nos techniques d’épluchage avec les italiens qui doivent respecter notre cahier des charges strict. Nous avons un « mandatore » qui va les choisir dans les champs au moment de la récolte (octobre). Il les achète sur place et les emmène immédiatement à l’éplucheur. » Les châtaignes sont d’abord plongées dans un bain d’eau pendant 9 jours, les parfaites restent au fond et les autres remontent à la surface. Les plus belles partent en caves de séchage et sont doucement remuées à la pelle pendant 15 jours avant d’être épluchées et calibrées. La mise en sommeil en température négative permet d’éviter l’emploi de conservateurs.
Photo corsiglia11

 

La mousseline de tulle

« On est là sur le cœur de notre savoir-faire », explique Alexandre. « Depuis toujours nous travaillons avec ce tulle que l’on réutilise, où se déposent les tanins du fruit. Cette attention manuelle de les serrer deux par deux l’un contre l’autre pour recréer la forme de la châtaigne dans sa bogue permettra de limiter l’apport de sucre. S’ils sont bien serrés, ils ne prendront pas de volume. On aura respecté la nature sans grossir artificiellement le fruit avec du sirop. Dans certains pays, ils mettent une douzaine de fruits dans un tulle, cela va plus vite. On refuse de le faire pour éviter que les marrons ne soient gorgés de sucre. »

 

La cuisson dans la mousson

Dans la salle de confisage, on sent une chaleur moite assez intense. On dirait que l’on se trouve en période de mousson. Les fruits partent en cuisson pour une durée indéterminée : « Chaque numéro de lot correspond à une région d’Italie, une colline, une altitude et un ensoleillement. On s’adapte. Cela peut durer trente minutes comme trois heures. A chaque étape, on contrôle : il faut que la texture fonde sous la langue. »

Le sirop de confisage est constitué de sucre, de sirop de glucose et de vanille de Madagascar, fendue ici à la main. « Dans le fondoir, on ne va pas au-delà de 60/65° sinon on serait sur une saveur plus caramel appréciée en Italie. On commence par un sirop très faible en Brix pour aller au cœur du fruit, puis on ajoute le sirop de réserve plus concentré au fur et à mesure de l’évaporation. La châtaigne est une éponge, il faut remplacer doucement l’eau du fruit par le sirop de confisage et atteindre 72/73° Brix. Cette étape prend 7 à 10 jours avant d’égoutter les marrons. On garde 28% d’humidité dans le fruit, on peut le conserver 3 mois. »

 

L’œil de Nassera

Nassera et son équipe défont chaque tulle à la main et écartent les marrons cassés et les défauts. Il y a bien 15 à 40% de débris selon les lots. « Si le marron est bien confit, quand on l’ouvre en deux on doit y trouver une goutte de sirop dans son cœur translucide. » Enfin, c’est l’étape du glaçage, fin et transparent, avec séchage à l’air libre.

 

Du sur-mesure

« Nous nous sommes constamment adaptés. On a connu le glaçage à la main et aujourd’hui on a une machine. Mais l’attention et le geste restent l’ADN de Corsiglia. » Nassera (37 ans de maison) connaît les spécificités de chaque client, français ou étranger. Certains souhaitent que l’on soit très vanillé, d’autres que l’on ait une fermeté en bouche ou que l’on ajoute du rhum dans le sirop. Au Japon, on réduit le sucre. Aux Emirats arabes, on va dans la douceur et l’opulence du gros calibre plié dans un papier doré. Si l’on pousse vraiment loin, on peut personnaliser le marron en jouant sur l’origine du fruit, son degré de concentration de sirop et son temps de confisage.

En 1978, Jean-Louis était déjà au Japon. « On raconte qu’un empereur japonais aurait dégusté un marron glacé avec son café et aurait lancé la mode. Là-bas, le Mont-Blanc est un incontournable et nos produits sont des cadeaux très luxueux à offrir toute l’année. Aujourd’hui, 10% de la production part à l’export et il y a encore un fort potentiel : à Singapour et Taiwan, le made in France a le vent en poupe. »

Galerie Photos :

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