Au Val D’Arly, on va parler savoir-faire, caillage et salage. Mais on comprend aussi ce combat mené par les paysans d’ici qui pilotent en gestion directe depuis 1969 leur propre coopérative fruitière : une fromagerie artisanale de montagne regroupant les producteurs qui mettent en commun « le fruit de leur travail ». Grâce à cette démarche, le lait est transformé sur le territoire et n’en sort pas.
La collecte de lait
Le cahier des charges du Reblochon indique que le fromage doit être fabriqué dans les 24 heures qui suivent la collecte. Les traites du matin et du soir sont mises ensemble et refroidies à 4° à la ferme. Le lait est ensuite collecté de nuit sept jours sur sept.
Le chauffeur parcourt environ 500 km entre 19h00 et 2h00 du matin pour que la production à la coopérative démarre bien à 3h30. Son coup d’œil est indispensable pour garantir une qualité constante du lait collecté, qui sera payé plus ou moins cher selon sa qualité mais sera mieux rémunéré (+ 10 à 15%) que s’il était acheté par les industriels.
Pour faire face à ces surcoûts, l’équipe se mobilise : « Pour valoriser nos produits en local, nous distribuons surtout là où nos 80 producteurs sont implantés. Nous travaillons aussi en direct avec la GMS, en face à face avec des chefs de rayon qui doivent être aussi motivés que nous le sommes », explique Philippe Bouchard, fils de fermier dans le Doubs et directeur de la Coopérative depuis 2007.
Daniel Grosset
Ferme Les Hirondelles à Flumet
L’ubac est encore blanc mais sur l’adret, la neige est pratiquement partie. C’est juste là en face, à 1500 mètres d’altitude, que Daniel Grosset emmène son troupeau en alpages de mai à septembre. Sur les prés, bouses et paille sont étendues et enrichissent la terre.
L’alimentation est à base de foin puis de regain (deuxième coupe des foins, plus riche que la première), complétés de maïs, orge et colza. Les vaches (races Abondance et Tarine) sont traites deux fois par jour, le matin à 4h puis le soir à 17h. Et c’est de là que vient le nom du fromage : « Reblocher » signifie « traire à nouveau ».
Autrefois, on payait ses impôts avec le lait de ses vaches. On donnait la première traite pour le seigneur, mais le soir tombé on faisait une seconde traite que l’on gardait pour soi, « la rebloche ».
Julien, le fils de Daniel, va bientôt prendre sa suite : « Dans les années 80, les jeunes ne voulaient pas reprendre, ce n’était pas une période facile. Aujourd’hui on a trouvé des outils plus faciles pour faire les foins et des moyens pour que l’on puisse prendre quelques jours de vacances avec des vachers de remplacement. Malgré tout, lorsqu’il nous fallait 20 bêtes pour vivre, il nous en faut 30 ou 40 aujourd’hui. »
L’attachement

La fabrication

Le lait est analysé à la coopérative selon sept critères puis versé dans des cuves de 3000 litres. Dans le lait porté à 34°/36°, une flore autochtone se développe, ce sont les ferments lactiques. La maturation dure une heure, ce qui permet de faire évoluer les matières grasses, le taux protéique et les saveurs. Marc ajoute la présure (présente naturellement dans l’estomac du veau nourri au lait).
Le caillage qui en découle va commencer 11 minutes plus tard. Intervient alors le toucher et la vue du fromager, bref le savoir-faire : la main plongée dans le lait brassé, il vérifie la taille du grain sur le plat de sa main et regarde comment il s’égoutte.
Il est chef de production, responsable de la surveillance du caillé. « Certains n’ont pas la fibre et ne sentent pas cette évolution du lait, du liquide au solide », explique Philippe. En fonction de la texture, Marc change d’outil pour brasser le caillé dans la cuve : il passe des pelles aux tranches et modifie la vitesse pendant que la température baisse.
Vient le moment de séparer le caillé du petit lait, qui est récupéré, soit pour fabriquer du Sérac soit pour l’alimentation des porcs de Savoie. On passe ensuite au moulage : là encore, on a besoin de l’expérience du fromager pour sentir la texture du grain moulé sous la pression de sa main : il doit se tenir. Le pressage dure 1H30 dans une atmosphère de 22 à 25°.
Le salage
Les fromages sont trempés une heure dans une saumure qui contient une flore autochtone. Les enzymes dégradent les matières grasses et les transforment : c’est l’action de l’affinage. On contrôle régulièrement le pH et le salage peut être décalé.
Les reblochons sont déposés sur des planches d’épicéa dans une cellule très humide à 16/18° pendant quatre jours. Là, la flore naturelle du lait cru fait merveille : les moisissures se développent, libèrent des enzymes qui créent la matière protéïque et ce goût de crème…
On retourne les fromages au bout de deux jours et on les brosse. Le septième jour, on les frotte à l’eau salée. Les planches pèsent 17 kg alors on fait en sorte que les salariés de la coopérative tournent sur les postes pour ne jamais faire le même geste plus de 45 minutes d’affilée.
Le fromage, posé encore humide sur le bois, passe ensuite en cave à 12°. Il aura fallu environ quatre litres de lait et trois semaines de temps pour fabriquer un reblochon de 450 à 550 g.
50 ans de combat
Sans la coopérative créée en 1969, les industriels auraient eux-mêmes organisé la collecte pour emmener le lait dans les usines. « Ils font du fromage à tartiflette. Mais ce n’est pas du Reblochon. » explique Philippe. Tous les jours, il se bat pour remettre le plateau de fromage à tous les repas.
« Notre objectif est de faire vivre ce territoire. Depuis 50 ans, nous avons préservé les savoir-faire, défendu les signes de qualité et gagné des médailles au Concours Général Agricole, mais nous avons aussi proposé d’autres produits. Nous nous adaptons également aux chefs de cuisine qui souhaitent un affinage en sur-mesure, ou qui en ce moment nous demandent de la tomme blanche fraîche : nous allons le faire ! »

Philippe Bouchard, directeur de la coopérative fruitière en Val d’Arly Savoie Mont-Blanc.
Entre Beaufort et Reblochon :
Beaufort : AOP depuis 1968
- Vaches de race Abondance ou Tarine
- Pâturage : du 1er juin au 31 octobre
- Température du lait : 55/57°.
Reblochon : AOP depuis 1958
- Vaches de race Montbéliarde
- Pâturage : 150 jours par an.
- Température du lait : 34/36°
www.coopflumet.com

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