La Maison Chapoutier accueille depuis plusieurs années le Championnat du Monde du pâté-croûte. Parti d’une boutade entre copains, l’événement est devenu incontournable pour rendre hommage à cette « œuvre monumentale de la gastronomie », cette « pâtisserie charcutière » qui met en oeuvre trois corps de métiers : cuisinier, charcutier et pâtissier.
Pierre Gagnaire, président du jury 2018 :
Le mot du président
« J’ai dit oui tout de suite car j’étais heureux et fier de faire partie de la famille des lyonnais. Ce concours est à la fois très professionnel, mais également convivial et c’est exactement ce que doit être notre métier : de la culture, du patrimoine (parce-que le pâté croute, c’est du patrimoine !) mais organisé de manière chaleureuse comme c’est le cas ici. »
Quels souvenirs de pâtés-croûte ?
« Un de mes meilleurs souvenirs de pâté-croute c’est celui que j’ai appris à faire en apprentissage avec Jean Vignard*, rue de l’Arbre sec. Je me souviens aussi d’un pâté de lièvre, celui d’Alain Chapel, tout à fait extraordinaire, rosé, sablé, long en bouche…
Chez La Mère Brazier, un bel exercice, un très bel objet d’orfèvre… A Shanghai très récemment chez Nicolas Le Bec, aussi un très beau pâté de Chartres chez Gilles Vérot, il n’y a pas longtemps que j’ai adoré également… »
Le petit pâté-croûte de Pierre Gagnaire
« On en fait un rue Balzac, oui. Il est tout petit, il est très long, on le sert épais et on l’accompagne de salade amère et d’un condiment qu’on appelle Ferdinand à base de moutarde de Crémone. Il y a des légumes saumurés et des petites choses qui réveillent les papilles par rapport à cet objet qui, s’il n’est pas accompagné d’acidité, pourrait sembler un peu triste. Aujourd’hui, ça n’est pas triste ! Avec Marguin, on sait que ça va être joyeux ! »
Quels seront vos critères aujourd’hui ?
« Déjà, la cuisson : une croute bien cuite, friable. Si l’on veut respecter l’esprit populaire de ce pâté et ne pas en faire un objet de luxe, le saindoux dans la pâte est bienvenu. Enfin, s’il est goûteux et bien équilibré en terme de gras et de sel, je ne vais pas me plaindre ! »
*Jean Vignard, ancien cuisinier de la Cour de Suède, chef étoilé du restaurant Chez Juliette, rue de l’Arbre Sec à Lyon.
Hommage à une « charcuterie pâtissière »
Christophe Marguin a créé il y a dix ans cette institution avec quelques amis : « Quand on a commencé, il n’y avait plus que des industriels qui faisaient des pâtés-croûte. Aujourd’hui, c’est grâce à cette compétition que l’on assiste à ce regain d’intérêt. » Tous réunis avant la dégustation, les membres du jury témoignent de leur attachement au « monument » : un vrai fondamental de la gastronomie qui fait appel à trois corps de métiers. « Chacun amène sa pierre à l’édifice collectif », explique le MOF charcutier Jacques Henrio. « Moi j’y mets surtout des cubes bien tassés et pas d’alcool. Les cuisiniers m’ont appris à mieux cuisiner les légumes, les pâtissiers m’ont appris à faire une bonne pâte. » Le nantais Vincent Guerlais reconnaît que pour le croustillant, le saindoux est le roi mais il reste fidèle au beurre, bien entendu. Nicolas Sale faisait déjà un pâté avec une belle structure mais il a profité de ses échanges avec Joseph Viola, qu’il a invité une semaine au Ritz afin de fêter les 50 ans de Daniel et Denise, pour aller plus loin encore : « On a parfois peur de le brûler mais il faut avoir le bon degré de cuisson. Et puis il y a une technique pour le coulage de la gelée qui doit être effectué à un moment précis. »
Sérieux mais pas trop…
Dans la salle de dégustation, les deux jurys cohabitent : les chefs emmenés par le président de cette édition Pierre Gagnaire sont placés sur tables individuelles pour la plupart et n’échangent pas entre eux. Certains sont par deux (Flora Mikula avec Mathieu Viannay) et Christophe Marguin se demande s’il a bien fait « de mettre ces deux-là ensemble, vue l’ambiance joyeuse qui se dégage de la table. Je me demande si on ne va pas les séparer… » A l’autre bout de la salle, la confrérie du pâté-croute s’installe sur de longues tables de banquets.
Les caméras gênent le passage
Alléchées par un véritable Championnat du Monde, les caméras se postent un peu pressantes dans les allées entre les arrivées des tranches de pâté et les membres du jury. Christophe Marguin libère le passage du service et demande aux serveurs du lycée Hôtelier de Tain l’Hermitage de ne pas tenir compte des caméras : « Ne vous arrêtez pas pour les photos : la priorité c’est le concours. » Le chef d’orchestre fait en sorte de ne rien laisser paraître lorsqu’il annonce les intitulés parfois bien longs. On devine que certains sont peu enthousiastes à une trop grande multiplicité d’ingrédients. Le champion 2017 Chikara YOSHITOMI (L’Ambroisie) explique : « L’an dernier, c’était ma deuxième participation. La première fois, j’avais mis trop d’ingrédients, trop de viandes et de goûts différents. En 2017, je n’ai mis que du canard avec une base de cochon. »
On ne rigole pas avec la gelée…
Sur certaines tranches, c’est la stupéfaction si la gelée manque. Pierre Gagnaire demande à Christophe Marguin : « On leur a dit que la gelée était importante ? » « Bien sûr qu’on leur a dit ! » Sur la grille de notation, la gelée compte pour 30 points, autant que la pâte et sa cuisson. Du côté de la confrérie, c’est sans appel : « Il n’y a pas de gelée ? Alors c’est plié, c’est zéro, fini pour lui. » Sur 200 points, la présentation de la pièce entière et de la tranche comptent pour 40 points (20 et 20) et la dégustation représente la moitié de la note afin de juger l’équilibre de l’ensemble et le goût de la farce. Certains froncent le nez en voyant arriver un audacieux pâté terre et mer, mais d’autres ne sont pas contre « si c’est bon ».
Accords « pâtés et vins »
Pour accompagner chaque tranche, Michel Chapoutier commente : « Vous avez eu un premier Riesling tout à l’heure et voici un second : on est sur la même parcelle, le même sol, mais juste au-dessus. C’est le même terroir un peu lourd, mais sur celle-ci l’érosion a fait le boulot : on est plus tendu et on a moins de gras et plus de minéral. » On voit la parcelle d’ici, on s’y croirait.
Treize pâtés-croûte plus tard…
La compétition est extrêmement sérieuse sur l’essentiel : aucune délibération, les relevés de notes sont ramassés et l’huissier va faire ses totaux à l’étage sans aucun échange avec le jury. Réaction de Nicolas Sale à chaud sur la dégustation qui vient de se terminer : « Il y a beaucoup d’authenticité, des identités vraiment différentes. On est sur le détail d’une cuisson, la texture d’une gelée, une harmonie entre toutes ces saveurs. Deux se sont détachés : l’un qui est très esthétique et un autre qui l’est moins, mais qui est « gustativement redoutable ».
L’œuvre du charcutier
Et c’est ce dernier qui remportera le premier prix : le « Pâté volaille de Bresse, canette de barbarie, foie gras des Landes, cèpes, ris de veau et sa gelée au naturel » de Daniel Gobet est un vrai pâté de charcutier et Mercotte (qui fait partie de la confrérie) est toute émue de voir que ce traiteur de Divonne-les-Bains essuie quelques larmes derrière Pierre Gagnaire à l’annonce du palmarès. Keiichi Tokita (Shinagawa Prince Hotel à Tokyo) arrive en seconde place. Il avait été sélectionné lors de la finale Asie qui s’est déroulée au Japon en septembre, organisée sur place par Christophe Paucod (Lugdunum à Tokyo) : depuis dix ans, le caractère international du pâté-croûte explose.