Accueil Chefs Billecart-Salmon : La Cuvée Nicolas François 2008, parrainée par Mauro Colagreco

Billecart-Salmon : La Cuvée Nicolas François 2008, parrainée par Mauro Colagreco

by Anne Garabedian

Récit d’une verticale vertigineuse de champagnes Billecart-Salmon organisée au Mirazur chez Mauro Colagreco, parrain de la cuvée Nicolas François 2008. Comme si vous y étiez, dégustation approfondie avec Mathieu Roland-Billecart, septième génération de la maison familiale, et les piliers Alexandre Bader, Denis Blée (Directeur vignes et vins) et Florent Nys (Chef de cave).

Arrivés chez Mauro la veille et ayant dîné ensemble à Casa Fuego, son restaurant argentin situé en face du Mirazur, nous étions attendus dès le lendemain matin pour une dégustation dans les règles. 

En une matinée, comment saisir le caractère de la maison ?

Tout d’abord en écoutant Mathieu Roland-Billecart nous raconter les étapes historiques de la marque, mais aussi les changements opérés pour faire constamment évoluer la qualité des vins. Egalement en ouvrant avec lui les coulisses du comité de dégustation, garant de la ligne directrice du « style Billecart » sur la durée. Enfin, en ouvrant six bouteilles, de quinze à quarante ans d’âge, avec les meilleurs experts qui soient, pour nous en faire le décryptage détaillé.

Mathieu Roland-Billecart, 7ème génération

La famille Billecart est installée à Mareuil-sur-Ay depuis le 16ème siècle. En 1818, Nicolas François Billecart épouse Élisabeth Salmon dans ce petit village proche d’Épernay. Tout juste mariés, ils fondent leur Maison de champagne aux côtés de Louis Salmon, frère d’Elisabeth et œnologue passionné, qui sera le premier chef de cave. De son côté, Nicolas François est l’ambassadeur parfait, celui qui place le champagne Billecart à la cour d’Autriche et de Russie. Bref, c’est l’Alexandre Bader de l’époque ! C’est aujourd’hui la 7ème génération qui est à la tête de la Maison, représentée par Mathieu Roland-Billecart. 

« Nous avons refusé de nous installer ailleurs : le meilleur moyen d’être attaché à sa terre, c’est d’y vivre. Mareuil, c’est là que sont les vignes, c’est là que le vin se fait. » 

Mathieu Roland- Billecart

Une charte drastique 

Depuis l’arrivée de Mathieu Roland-Billecart, le désherbant est interdit, l’oïdium se gère au souffre et le mildiou au cuivre, que ce soit pour les parcelles en pleine propriété ou pour celles qui sont en gestion. « La viticulture, c’est beaucoup d’essais et d’humilité. Je suis partisan d’une gestion en bon père de famille pour poursuivre notre tradition de transmission. Et je veux que plus tard, la famille se dise qu’on a fait du bon boulot ! »

« Lorsqu’il a pris les rênes, savez-vous quelle est la première question que Mathieu Roland-Billecart a posé à l’équipe technique : “Comment pouvons-nous encore progresser qualitativement sur notre brut réserve ?“ C’était son obsession. Et en améliorant la sélection des crus, nous avons mis de côté les vins qui étaient très bons : ce n’était pas suffisant pour nous. On ne se contente pas du “très bon “ quand on cherche l’exceptionnel. » 

Alexandre Bader

La fermentation à basse température

Une fermentation à treize degrés pendant deux à trois semaines préserve le goût du fruit et du terroir, et donne une colonne vertébrale acide qui donne cette fraîcheur au vin, quelque-soit son âge.

La vinification sous bois

Une certaine proportion de vins élevés en sous bois, (une tendance revenue depuis les années 90), sont apportés dans les assemblages, mais avec mesure. « Ainsi, sur une année très minérale, on amène une profondeur et une gourmandise », explique Denis Blée.

« Nous avons des vins de réserve avec lesquels on complète un cru avec délicatesse, on l’assaisonne, en quelque sorte. »

Florent Nys, chef de cave

Le comité de dégustation

Selon Mathieu Roland-Billecart, c’est le « cœur du réacteur », le noyau dur qui porte la vision globale de la marque et de son exigence. Sur les huit membres du comité, quatre sont des Billecart et les quatre autres sont des professionnels aguerris de la maison : les savoir-faire sont totalement partagés entre membres de la famille et les équipes techniques, comme Denis Blée et Florent Nys. Ce mix richissime se charge de choisir les assemblages et les dosages : 250 échantillons sont dégustés à l’aveugle entre novembre et décembre, un travail colossal collectif qui assure la continuité du style.

Un comité, comment ça marche ?

« On goûte tous les vins clairs, plusieurs fois par semaine, entre onze heures du matin et quatre heures de l’après-midi. Nous décidons ensemble des cépages qui vont entrer dans les assemblages ou non, qui doivent convenir parfaitement au style Billecart. C’est la meilleure façon d’allier héritage familial et expertise. Nous procédons par thématiques comme par exemple “le brut rosé“. On se concentre dessus et en trois ou quatre séances, on arrive généralement à se mettre d’accord », explique Mathieu Roland-Billecart. « Je prends ce rôle très au sérieux, et pour cause : il y a notre nom sur l’étiquette, c’est une sacrée responsabilité ! » 

La signature Billecart 

D’un verre à l’autre, la colonne vertébrale de fraîcheur reste la ligne directrice, la signature Billecart. Hormis la fermentation à basse température et l’art des assemblages pour assaisonner les crus avec finesse, l’équipe insiste sur le « respect du temps qu’il faut » : « Quand un cru n’est pas prêt, il faut savoir le laisser tranquille trois ans de plus pour lui donner de la force. Il ne faut pas jouer avec ça. » Denis Blée confirme : « Un an de vieillissement supplémentaire permet parfois passer un cap. » Le temps, c’est cela qu’il fallait à la cuvée 2008, qui est maintenant prête à être dégustée et s’offre un parrain particulièrement fidèle à la Maison.

Mauro Colagreco, parrain de la Cuvée Nicolas François 2008

Entre Mauro Colagreco et la Maison Billecart-Salmon, le même attachement à la terre et à la nature qui nous entoure. Mais un autre parallèle avec la cuisine du Mirazur a été mis à jour par Denis Blée : « Nous aussi, nous tenons compte du calendrier lunaire. Il n’est pas facile de ne vendanger que certains jours alors que notre fenêtre de tir ne dure qu’une quinzaine, mais par contre, je peux déceler une différence de dégustation selon le calendrier. Lorsque nous sommes sur un jour “racine“, la dégustation est fermée, plus dure. Aujourd’hui, nous sommes un jour “fruit“, la dégustation est belle et ça goûte bien ! »

L’accord mets et champagne chez Mauro

Dans les années 80, on était plutôt champagne uniquement au dessert. Puis, les goûts ont évolué, le champagne s’est invité d’un bout à l’autre du menu et on a voulu plus de fraîcheur. Et ça tombe bien, c’est la signature Billecart. À la table du Mirazur, c’est même un 1964 qui nous est servi avec son étiquette vert pâle : c’est la toute première cuvée qui porte le nom de Nicolas François. « Quarante ans plus tard, le vin a évolué tout en gardant cette colonne vertébrale de fraîcheur qui fait notre signature. »

Un menu chez Mauro 12 avril 2023

  • Rose de betterave, fleur d’hibiscus
  • Homard bleu en tartelette, radis de nos jardins
  • Pommes de terre, ail nouveau et caviar osciètre
  • Pèche du jour, sauce Sudachi
  • Tarte à l’artichaut, truffe noire et périgourdine
  • Naranjo en flor, dessert de Marius Dufay, en accord avec un 1964, première cuvée au nom de Nicolas François, avec son étiquette vintage vert pâle.

Verticale vertigineuse, de 2019 à 1964, commentée par Denis Blée

En quelques mots, le Directeur vignes et vins nous dresse un croquis des crus qui sont devant nous. 

« Tout d’abord, on juge une bonne maison sur son brut, alors on commence par là !

  • 2018, une année sanitaire parfaite, dans toutes les régions viticoles, un nez superbe, une délicatesse.
  • 2019 est aussi une belle année. On perçoit le travail qui a été fait entre les deux : on a la minéralité du Chardonnay et plus de personnalité. 

Et maintenant, passons aux cuvées Nicolas François : 

  • 2008 : 60 % de pinot noir pour cette année remarquable. Une vendange au 15 septembre, classique champenoise, au-delà de 10 degrés, un vieillissement sur lies, on est à 3 grammes par litre.
  • 2002 : une trame de fraîcheur, à laquelle s’ajoutent des notes briochées, de vanille et de poire. Un cru précis et délicat.
  • 1998 : Une année humide qui a engendré un tri important. Un millésime très expressif, gourmand, une harmonie assez « pâtissière » avec beaucoup de fruit.
  • 1986 : Etonnant ! Comme en 1996, une forte acidité. Malgré l’évolution de la vinification chez Billecart entre les années 80 et aujourd’hui, et même si on reconnait que maintenant, il ne serait plus travaillé de la même manière, c’est un plaisir de le déguster. Mathieu Roland-Billecart le goûte avec émotion, « comme une carte postale de son époque. » 

Sur ces quatre dernières bouteilles, toutes des cuvées Nicolas François mais de dates éloignées, on décèle pourtant un lien de filiation assez fort. En dépit des différences de millésimes et méthodes de vinifications successives, on reconnait une expression « maison ». 

Pour aller plus loin :

L’analyse de dégustation, par Florent Nys

Nous avons demandé à Florent Nys, le chef de cave de la Maison Billecart, de nous confier ses notes de dégustation de la verticale que nous venons de vivre en collectif. C’est le gars que tu voudrais avoir toujours avec toi pour une dégustation, celui qui va décrypter les arômes et les effluves avec finesse, mettre des mots justes sur une sensation délicieuse. À la lecture de cette analyse détaillée qui ressemble à un poème, le nez et la bouche s’ouvrent comme des fleurs en revivant mentalement la dégustation. Le vocabulaire gourmand des notes ainsi traduites ne fait qu’augmenter notre désir d’y repiquer ! Et nous avons la chance de pouvoir partager avec vous cette analyse en intégralité : c’est un vrai bonheur ! Merci Florent !

Nicolas François 2008 :

Nez d’une grande complexité, avec différentes strates intimement liées (fraîcheur, galbe et minéralité). Nous retrouvons la fraîcheur des notes de citron vert, puis de fleurs blanches et d’eucalyptus. L’aération révélant une grande expression de fruits noirs comme la myrtille, d’épices douces (cannelle) combinées aux notes de caramel au lait, de mangue et d’ananas puis à celles de pivoine et de rose. L’attaque en bouche se révèle noble, avec un joli crémeux et des notes infusées d’amandes grillées, de pivoine et de rose. L’allonge est minérale longue, avec de jolies notes de mandarine et de brugnon, puis de cardamome et d’omelette norvégienne en rétro-olfaction.

Nicolas François 2002 :

Nez intense avec des notes de fumé, de cèdre et de lavande. Le fruité est exotique et épicé, avec des notes de fruits jaunes et de rhum. La bouche offre une expérience de dégustation sur les noisettes grillées et les fleurs blanches, signant à la fois un caractère gourmand et ciselé. La matière se révèle fraîche, minérale et précise avec une grande longueur sur les zestes d’agrume et le calcaire.

Nicolas François 1998 :

Le nez offre une belle vision de la patine du temps post-dosage. Cette cuvée dégorgée en 2007 possède un nez de crème au lait, de noisettes du piémont torréfiées, de vanille et de nougat. A l’aération, des notes épicées et douces apparaissent, agrémentées de cacao et de fruits blancs au sirop. La bouche est ample et fraîche, avec une prédominance d’agrumes, quelques notes de cardamome et de poivre blanc, pour une belle finale sur des notes de cèdre.

Nicolas François 1986 : 

Nez d’une grande intensité minérale sur le fumé et d’une belle fraîcheur avec ses notes d’agrumes confits. Les notes de céréales soufflées et de cacao se révèlent à l’aération.

L’attaque en bouche présente une belle rondeur, mais la bouche très vite s’étire sur le caractère calcaire et agrumes (citron vert) pour un joli tranchant. Les notes de cèdre, de fumé et de noisette grillée se déploient sur une jolie rétro-olfaction.

Nicolas François 1964

Né d’un millésime extraordinaire, avec une grande maturité des raisins, proche de celle des dernières vendanges (2022, 2019 et 2018). Nez extraordinaire d’orange et de pêche rôtie, signant un fruit éclatant de précision, puis on retrouve des notes de baie de genièvre et de citronnelle qui apportent beaucoup de fraîcheur. A l’aération, la complexité et la patine du vin se dévoilent avec des notes de cire et de boîte à cigares. La bouche révèle elle aussi un grand caractère abouti, avec des notes de cire et de sous-bois (feuilles et champignons) se liant à la minéralité, et aux notes de safran, de rose, de pivoine et de ronces.

« Nicolas François 1964 est un grand vin, incroyable de complexité et de fraîcheur, en dépit de son âge. La cuvée est bien née avec ce superbe premier millésime en bouteille fondation. »

Florent Nys

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À lire également :

Le décryptage de la cuvée Elisabeth Salmon par sa marraine Anne-Sophie Pic est à lire dans la revue Le Coeur des Chefs Numéro 10, à commander ici.

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