Accueil Chefs Fairmont Monte Carlo : une journée marathon avec Philippe Joannes

Fairmont Monte Carlo : une journée marathon avec Philippe Joannes

by Anne Garabedian

Fils d’aubergistes, le Meilleur Ouvrier de France 2000 est aujourd’hui à la tête de six cuisines dans un navire de 600 chambres. 500 omelettes à chaque petit-déjeuner, 100 couverts par nuit en room service. Un téléphone dans chaque main, le chef passe en un clin d’oeil du repas-test gastro pour trois VIP à l’événement en extérieur pour 3000 personnes. C’est du sport. Au plus près de lui, toute en retenue, l’admiration de sa brigade est manifeste.

Pour suivre Philippe Joannes, on se lève tôt et on enfile ses rollers. Il faut compter environ huit kilomètres par jour pour une journée type du chef exécutif du Fairmont Monte Carlo.

Et on commence par dire bonjour. Tous les matins, ça lui prend 45 mn : « saluer tout le monde, c’est important ». Un jour, il prend son café au 7ème étage avec le chef d’Horizon, un autre il sera avec le chef du restaurant du personnel. Lorsqu’il nous présente quelqu’un, Philippe insiste sur le rôle de chacun. René est directeur technique, Pascal, 35 ans de maison, est responsable du sous-vide et de la qualité.

« Il est dans le détail et justement on a besoin de ça. Les essais, la traçabilité, les DLC, l’anticipation. Lors d’un événement, si on doit faire 1600 portions de mini-légumes, on n’improvise pas : j’ai besoin d’assurer la régularité du goût et de la cuisson.»

On sent bien que la machine est efficace et l’organisation bien rôdée. Les locaux sont étudiés pour que tout rentre d’un côté et sorte de l’autre en respectant une propreté exemplaire. Philippe a appris à s’adapter à cette clientèle qui veut manger à toute heure une cuisine internationale. « Pour que le client soit content, il faut que tous les services s’entendent entre eux. Après, ils ne fonctionnent pas de la même manière. Le cuisinier est rythmé par le service. Le pâtissier veut produire et anticiper. Et je voulais que tout soit fabriqué ici. Il a fallu réorganiser tout ça !  »

 

« Le couloir des 13 mètres »

Nous sommes 13 mètres en dessous du niveau de la mer. Tout arrive ici. A l’arrivée marchandise, on reçoit le poisson, la viande, les légumes et on appelle ceux qui ont commandé : chacun vérifie la qualité de ses produits. Ensuite, on file en production. Le chef a l’œil. Il court et il voit tout.

Philippe rappelle que les portes des plonges doivent rester fermées, téléphone à la maintenance quand une sauteuse est en panne et remarque qu’il reste une goutte dans la machine à chocolat dont ils se sont servis le matin. Dans les six cuisines, on travaille sur des choses très différentes. En production et en pâtisserie, on est sur les verrines pour le salon d’honneur du stade alors que dans la cuisine du room, on prépare le repas-test de ce midi : une table de trois personnes pour valider un repas VIP de dix personnes la semaine prochaine.

L’esprit du coureur de fond

« On n’est pas des sprinters mais des marathoniens. Notre objectif n’est pas d’épater la galerie sur un soir pour 40 couverts. L’important au Fairmont n’est pas d’étonner mais de convaincre par la régularité de la qualité. On est là pour faire bien tous les jours, pour beaucoup de monde, avoir une belle créativité et garantir que 1000 personnes seront servies en 1h30. Se réveiller chaque matin et vérifier qu’il n’y ait pas de clients mécontents. »

 

Simon sur le grill

« Vas-y, Simon, raconte-moi l’histoire. » A ses côtés depuis 11 ans (depuis Lenôtre), Simon explique son foie gras/châtaigne/noisette pendant que le chef goûte chacun des éléments du repas-test. Tous les deux tentent des dressages différents et choisissent la vaisselle ensemble. Philippe navigue entre la cuisine et les clients exigeants et attentifs. C’est la seule table dressée dans Nobu ce midi, l’atmosphère est calme mais tendue. L’enjeu est important.

 

Début de l’histoire

« Avec mon associé Patrice, on avait ouvert Le rond de serviette, rue du cherche midi à Paris, en même temps qu’Yves Camdeborde en 94. On était deux, il y avait 50 couverts et pas de menu, on posait les plats au milieu de la table et on terminait par un millefeuille ou un clafouti à partager. Gaston Lenôtre était un fidèle. Un jour, il m’a dit « j’ai besoin d’un chef au Pavillon Elysée » et j’y suis allé. Avec Frédéric Anton, nous sommes arrivés le même jour en mars 97, lui au Pré Catelan et moi au Pavillon. On s’est retrouvés ensuite dans une cuisine du sous-sol pour travailler ensemble le sujet de notre MOF, une tarte soufflée aux poires. » Ensuite, Philippe poursuit sa carrière chez Lenôtre, à Plaisir (78) puis à Nice où il devient Directeur Régional Côte d’Azur. MOF 2000, il est chef exécutif du Fairmont depuis 2012.

 

La réunion des sous-chefs

14h30, c’est le rendez-vous quotidien de l’équipe rapprochée. Laurent annonce les plannings de la semaine prochaine : les groupes prévus et comment on les accueille, les testings pour les mariages, les cocktails, les forums à l’extérieur, les menus, les changements de cartes, les horaires, les options, les confirmations…

En lien constant avec le service commercial, Philippe doit faire en sorte que les équipes se coupent en quatre pour les clients tout en gardant une qualité constante. Donc réactivité au taquet, mais on reste lucide lorsqu’on a des demandes du type : « On voudrait une forêt remplie de wedding cakes, des fontaines de chocolat et des pyramides de macarons ». De manière assez étonnante, la team arrive la plupart du temps à répondre aux souhaits exprimés…

On enchaîne sur les RH : recrutements, congés, remplacements. Dans cette période chargée, l’un d’entre eux souhaite annuler sa semaine de vacances. Philippe écoute les inquiétudes, rassure, réorganise les équipes et propose que l’un aille donner un coup de main à l’autre, mais ça se fait tout seul.

Le challenge culinaire

Tous les mercredis, un cuisinier de la brigade, du commis au sous-chef, propose un plat qui lui ressemble pour dix personnes. « Je fais venir des collègues des autres services qui seront notre jury de dégustation d’un jour. On a une grille de notation, une remise des prix chaque année et les plats les plus remarqués sont mis à la carte avec le nom du cuisinier. On a mis ça en place depuis plus d’un an, cela crée une synergie entre eux, un esprit de challenge qui les réveille. Ce côté compétiteur, l’envie des concours, c’est mon parrain Roland Durand (MOF 82), qui me l’a donné. »

« Ça me fait un peu rire ces chefs qui trouvent que les jeunes ne sont pas passionnés : tu ne te réveilles pas le matin en étant passionné. Ce sont les challenges qu’on te donne qui te motivent ! »

 

Décryptage du bureau

Passage éclair pour répondre aux mails les plus urgents et arbitrer les sujets brûlants soumis par Isabelle. Philippe en profite pour valider les menus de Goût de France avec Louis Starck, directeur de l’Hôtel : « Louis est devenu un ami. On court ensemble. Il m’a beaucoup apporté sur la manière de manager, sur le suivi des dossiers.

J’apprécie son sens de la méthode et son pragmatisme. » Sur le mur, les plannings de chaque cuisine confirment l’impression de démesure. Derrière le fauteuil sont accrochés les souvenirs importants, quelques tranches de vie : L’anniversaire de Gaston Lenôtre au Pré Catelan avec Roger Vergé, un dîner de MOF à la Rotonde, le départ de Joël Garault à la retraite, Agecotel avec le Prince Albert de Monaco… Sur le bureau, une pile de dossiers : « ceux-là sont ceux sur lesquels je dois bosser vite fait. Il y en a un paquet…»
A côté de l’ordinateur, du chocolat et des bonbons.

 

Pour se rendre compte…

Quand Philippe est arrivé il y a 6 ans, il y avait peu de banqueting. « La semaine prochaine, en 4 jours, on va avoir 1600 clients assis. Un congrès dans les salons, un événement extérieur sous chapiteau, des repas de 600 personnes au Grimaldi Forum. Il nous faut recruter 24 personnes en extra sur ces 4 jours. Et en même temps, on a l’hôtel qui tourne à fond. »

Le Fairmont Monte Carlo, ce sont 600 m2 de laboratoire de production salée et 350 m2 de pâtisserie. La Trattoria, le self du personnel, accueille 400 couverts par jour. On compte 540 employés, dont 80 en cuisine. Au rez-de-chaussée, on peut découvrir la cuisine de Matsuhisa à Nobu dans une ambiance feutrée (le japon aux nuances d’Amérique latine) et le Saphir est ouvert 24h/24. Au 7ème étage, « Horizon » porte bien son nom.

 

Manager dans l’humain

Quand il est arrivé, Philippe a mis six mois à prendre ses marques : « Je suis heureux aujourd’hui quand chaque personne est au meilleur endroit, pour lui et pour l’hôtel.
Chacun est dans l’univers où il se sent le mieux. Alessandro est en production. Laurent est mon 1er adjoint depuis 6 ans : il prend le lead quand je ne suis pas là. C’est le sage de l’équipe, il apaise tout. Simon est sur les repas-tests et les fiches techniques, Xavier sur les restaurants du 7ème étage, Jérôme et Olivier sont à Nobu, Stéphane est le chef pâtissier et Jean-Jacques est responsable des opérations extérieures. » Isabelle, coordinatrice cuisine, gère les plannings de tout ce petit monde.

Le chef gère ainsi une brigade de 80 cuisiniers et revendique un management quasi « familial » : « Xavier Rugeroni, Vice-Président régional du Fairmont Monte Carlo, connaît parfaitement tous ses employés. Il a de la mémoire, mais il est surtout attentif à chacun d’eux. Ce côté sincère et humain que nous avons ici, c’est grâce à lui. »

 

Philippe vu par son équipe

Déjà, il semblerait que le chef ait « un cerveau qui tourne à 1000 tours/minute ». Et il sait ce qu’il veut avec un sacré sens du détail. Donc il faut suivre, et tenter de saisir exactement ce qu’il imagine, ce qui n’est pas simple. « La cuisine est une passion, pas un métier. Alors on suit le mouvement ! Même quand c’est chaud à réaliser, on ne lui dit jamais que ce n’est pas possible…», reconnaît Simon. Ensuite, il est très présent, il connaît parfaitement ses équipes et il aime leur faire confiance. Tous le savent et lui vouent un respect palpable. « On n’a pas envie de le décevoir».

Il pourrait y avoir un peu de distance, le charisme du MOF et de la responsabilité, peut-être. Mais pourtant, « sa grande plus grande qualité, c’est l’humain » témoigne Alessandro. « Même au niveau où il est, on sait qu’on peut toujours pousser la porte pour lui parler, à n’importe-quel moment. » Deux mots pour le résumer selon Simon ? « Humilité et transmission : il est en totale adéquation avec son titre de Meilleur Ouvrier de France, cela reflète sa philosophie. »

  • Philippe : On va faire quatre coffres de chocolat pour mettre les mignardises dedans.
  • Simon : Mais chef, c’est pour la semaine prochaine !
  • Philippe : C’est ça, on est large !

Ce qui le fait vibrer

L’approcher de si près dans son quotidien nous fait prendre conscience qu’au-delà des responsabilités et de la taille de l’équipe, Philippe Joannes est resté le même. Le chef exécutif peut à tout moment laisser la toque de côté et taper dedans : « J’ai besoin de toucher le produit. Je n’ai pas l’impression d’avoir changé. Je suis toujours aussi curieux de tout. Chaque matin je sais que je vais apprendre quelque chose, notamment dans les rapports humains. J’ai autant besoin du contact avec mes équipes qu’avec le client. Ce qui me fait vibrer, c’est la qualité au quotidien : j’attache autant d’importance au croissant du matin qu’au Black Cod de Nobu, aux gamberoni d’Horizon qu’à la pizza du room service. »

Fidèle à l’esprit des Meilleurs Ouvriers de France, Philippe est Président des MOF de la région Paca. Son rôle, hormis d’organiser le concours des meilleurs apprentis de France, est également de faire en sorte que les 230 métiers soient mis en avant et pas seulement la cuisine. Mais par dessus tout, il incarne à merveille son col tricolore dans son rôle de transmission : « Je m’appuie sur l’équipe, je compte sur eux pour transmettre à leur tour. Je leur dis : « considérez que les commis sont vos enfants et que vous les aidez à grandir. »

 

Conseil de MOF

« Avant le concours, tu as 15 jours pour t’entrainer. Il faut que dès le 2ème jour, tu aies à tes côtés la bonne personne qui te mette sur le bon chemin. Et puis il faut de l’humilité. Si, lorsque tu échoues, tu penses pourtant que ce que tu as fait était bien et que tu n’aurais pas pu faire mieux, c’est que ce n’est pas le moment pour toi de devenir MOF. »

 

Philippe Joannes vu par Guillaume Gomez

« Philippe porte en lui le travail, la technique aboutie et la transmission. Comme beaucoup de MOF, c’est dans son ADN. Je me souviens notamment d’un sommet international à la Préfecture de Nice où on a travaillé ensemble. On ne se connaissait pas bien avant ça, et là j’ai tout de suite vu que c’était le gars hyper réactif qui mettait la main à la pâte. Il est toujours disponible pour les autres, dans la bienveillance, il sait fédérer les équipes autour de lui, s’appuyer dessus et les faire réagir : il conjugue tout ça à la fois ! »

 

Galerie Photos : 

 

Vous pourriez aimer aussi...

Laisser un commentaire

neuf + seize =