Accueil Actualités La grande cuisine française : Déclin ou renaissance ? Table ronde au Sirha Food Forum du Sirha Lyon 2025

La grande cuisine française : Déclin ou renaissance ? Table ronde au Sirha Food Forum du Sirha Lyon 2025

by Anne Garabedian

Il fallait situer le moment où la cuisine française s’est dit : « Tiens, on n’est plus tout seuls ! » Pour nous aider, trois témoignages forts sont intervenus sur le Sirha Food Forum lors du Sirha Lyon 2025 : un historien de la gastronomie (Loïc Bienassis), un expert (Nicolas Chatenier, fondateur de Notre Chère et auteur de notre livre de chevet «Mémoires de Chefs » ), et un professionnel, acteur de cette « tradition réinventée », André Terrail, Président de la Tour d’Argent. Morceaux choisis !

Sirha Food Forum, c’est l’espace d’interview et de réflexion du Sirha Lyon, situé sur la Place des Lumières, au coeur du salon. Un lieu névralgique, qui bouillonne d’idées et de convictions. Et comme les intervenants étaient bien choisis, on y a passé du temps. Parmi toutes les thématiques, nous avons choisi ce moment fort : « La grande cuisine française : Déclin ou renaissance ? », animé par notre confrère Michel Tanguy. 

Comment situer la naissance puis l’apogée du rayonnement de la gastronomie française ? 

L’historien la situe au XVIIème siècle et Nicolas Chatenier date ensuite son apogée dans les années 70. Et depuis, déclin ou renaissance ? « Je ne dirai pas que nous vivons un déclin de la cuisine française, mais disons plutôt une remise en cause de cette hégémonie. Et ce phénomène est assez récent », reconnait Nicolas Chatenier.

Les témoignages de chacun

Pour nous, c’était le sujet le plus passionnant de cette scène, avec des intervenants vraiment légitimes : Loïc Bienassis, André Terrail et Nicolas Chatenier avaient tous une bonne raison d’être là. Nous avons recueilli leurs réflexions, et nous les partageons. 

L’historien : Loïc Bienassis nous remet dans le contexte

« La France a assuré le rayonnement de la gastronomie française par des hommes, des produits, et des recettes, et ce depuis le XVIIe siècle. La Varenne commence à ajouter du beurre et de la crème, qui n’étaient pas vraiment utilisés avant cela et ajoute aussi une séparation entre le sucré et le salé, qui n’était pas franche jusque-là. Escoffier simplifie la cuisine de Carême, ce qui permet un service plus rapide, plus adapté aux palaces. La cuisine française d’alors n’avait pas d’égal. » Pour rappel, les livres de cuisines régionales ne font leur apparition qu’à partir du XIXe siècle.

Le professionnel : André Terrail  : « Une France forte de ses produits »

« L’héritage, c’est une tradition réinventée, pour que l’histoire reste contemporaine et soit racontée de façon cohérente. »

André Terrail

Pour André Terrail, la force de la grande cuisine française tient surtout à la quantité inouïe de produits d’exception que nous avons en toute saison et peu de pays ont cette richesse. En ce qui concerne la technique, il rappelle que son importance capitale impose rapidement une ampleur grandissante des brigades : « Les sauces, centrales, demandent vite beaucoup de moyens. » 

« Nous avons été seuls très longtemps et nous ne le sommes plus. » 

Nicolas Chatenier

L’expert : Nicolas Chatenier

« À partir des années 70, la France essaime l’essence de sa gastronomie, notamment par le biais de l’édition et des voyages. Paul Bocuse et Michel Guérard parcourent le monde et font la Une des journaux. Dans les années 70/80, la gastronomie française est au centre de l’attention mondiale. En 96, c’est un moment-clé, Joel Robuchon prend sa retraite et Ferran Adria explose. La cuisine espagnole vient chasser sur nos plates-bandes. À la fin des années 90, Alain Ducasse crée Spoon qui symbolise l’intégration des produits du monde entier dans la cuisine française. Notre technique se met au service d’une cuisine étrangère. »

« Quand j’ai commencé, je travaillais avec William Ledeuil et je me souviens qu’il attendait avec impatience les produits frais qui venaient de Bangkok. La globalisation des échanges a tout changé. » 

Nicolas Chatenier

« Depuis 20 ans, il y a une émergence des autres cuisines. L’époque d’aujourd’hui pose énormément de défis à la cuisine française. C’est l’hégémonie française qui est battue en brèche. Les péruviens, la Thaïlande, les coréens vont loin sur le raffinement. Il y a aujourd’hui un restaurant coréen trois étoiles à New York. Et cela montre que ces pays rentrent dans la cour des grands. » 

Une clientèle qui vole d’une expérience à une autre

« Sur la notion de l’expérience, on était un peu balbutiant en France il y a encore quelques années, mais aujourd’hui il est acquis qu’un client ne vient pas seulement au restaurant pour se nourrir mais pour vivre des émotions puissantes. »

Nicolas Chatenier

Andre Terrail confirme que si la clientèle chinoise prend du temps à arriver dans les grands restaurants français, les clientèles américaines et sud-américaines sont là depuis longtemps, (anglaises et espagnoles également), et sont tout à fait capables d’avoir une expérience très classique un soir et une autre totalement disruptive le lendemain.  « C’est une clientèle souvent avide de nouveautés et qui aime passer d’une cuisine à une autre, qui adore zapper et raconter ses différentes expériences. Il y a des collectionneurs de tables comme autrefois les collectionneurs de vignettes Panini, qui adorent poster sur leur Instagram le nombre d’expériences qu’ils ont fait ce mois-ci et montrer à leurs amis qu’ils en ont fait plus qu’eux. Cela donne des contrastes étonnants, comme une clientèle asiatique qui adore goûter un excellent vin français sur une cuisine japonaise : ce sont eux qui choisissent de faire ces mélanges. »

Et puis il y a aussi la facilité de transport, et l’essor des avions en low-cost qui fait que « des clients de La Tour D’argent le jeudi peuvent aller à Noma le lendemain », explique Nicolas Chatenier. « Et en fin de compte, il est plus facile pour un parisien d’aller à Copenhague que d’aller chez Bras. On a dans ces clientèles élitistes, qui ont une influence, une comparaison entre les tables au niveau européen et même au niveau mondial. »

Les influences

Les réseaux sociaux ont permis d’avoir une fenêtre ouverte sur ce qui se passe dans la cuisine du monde entier à l’instant, et les jeunes des brigades sont souvent plus au courant de ce qui se passe dans une cuisine du Pérou que dans celle de leurs voisins. Pour André Terrail, « le guide Michelin reste central, notamment pour les chefs cuisiniers, mais force est de constater que d’autres éléments entrent en compte pour le choix d’une table, comme les notes Google ou Tripadvisor, avec des influences éclatées à travers le monde, et tout cela donne une sorte de magma difficile à suivre. »

Les questions posées à la grande cuisine française 

Nicolas Chatenier pose les enjeux en quatre thèmes : 

  • La cuisine française reste une cuisine longue : Les repas durent longtemps. Yannick Alléno s’était déjà penché sur cette question et très dernièrement, David Toutain a proposé un repas en une heure, et c’est un tour de force. Mais le format de la cuisine française prend en général deux heures trente ou trois heures. Est-ce que tous les clients étrangers ont envie de passer ce temps à table ? C’est une des grandes questions de demain. 
  • Il y a aussi une question de culture : la grande cuisine française a sans doute besoin d’une éducation, on n’est pas toujours prêt à la goûter. 
  • Elle pose aussi la question du partage : on a des cuisines dans le monde entier qui sont sur ce format très convivial, mais pas la nôtre. Nous sommes restés dans une logique à l’assiette qui est typiquement française.
  • Il y a aussi une question de légèreté : la cuisine française, dans sa tradition de sauces et de protéines animales, peut sembler un peu riche pour un certain public étranger. La cuisine coréenne, plus légère et axée sur des techniques de fermentation, monte en force aux Etats-Unis, même si elle est encore peu connue en France.

En conclusion

La cuisine contemporaine avec ses multiples formats et ses influences diverses a enrichi notre panel de tables : Loin de nous opposer, ces expériences gastronomiques différentes comblent les plus gastronomes.

Pour répondre à la question posée : « déclin ou renaissance » ?

Pour Nicolas Chatenier, « je ne dirai pas que c’est un déclin car c’est un mot trop fort.  Mais depuis quelques années, il y a un coup donné à notre leadership, qui était sans conteste jusqu’alors. La France doit-on prendre acte, tout en restant un lieu de savoir-faire uniques. La France reste la France, mais nous avons été rattrapés par des concurrents qui sont très bons. » 

Loïc Bienassis affine l’analyse : « C’est un déclin relatif mais pas absolu. Notre savoir-faire reste au top, mais la montée d’autres cuisines fait que l’intervalle s’est réduit : c’est un déclin de l’hégémonie, mais pas de la qualité. » 

André Terrail souligne que Paris reste la capitale mondiale de la Gastronomie : « Lorsqu’un chef étranger vient s’installer à Paris, c’est pour lui un peu une consécration de sa cuisine. C’est un aboutissement parce que à Paris, il sera confronté aux meilleurs. Il n’y a jamais eu une telle ébullition dans la gastronomie française. Quel autre pays propose autant de confréries et de concours gastronomiques ? La passion française pour la cuisine est immense. » 

Revoir la table ronde : « La grande cuisine Française, déclin ou renaissance, au Sirha Food Forum »

Textes et photos ©Le COEUR DES CHEFS : merci de ne pas réutiliser sans autorisation.

À lire également, nos moments de reflexion lors des événements annuels du COEUR DES CHEFS :

Vous pourriez aimer aussi...

Laisser un commentaire

5 × deux =