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Recrutement en gastronomie : Emploi ou projet ?

by Anne Garabedian

La crise du recrutement en hôtellerie-restauration est profonde et ne se règlera pas en six mois. Les solutions évoquées sont des pots de fleurs ajoutés ça et là à une bâtisse que l’on tente de rendre plus accueillante, mais dont les fondations s’effritent. L’urgence n’est plus d’en saisir les causes, diverses et partagées, mais de réagir vite. Dans notre secteur, les candidats ne cherchent plus forcément un emploi, ils cherchent un projet. À chaque établissement de construire le challenge qui emmènera ses futurs collaborateurs dans l’aventure.

Voilà des mois que l’on tourne le sujet dans tous les sens, que l’on écoute les uns et les autres, les témoignages des restaurateurs, des étudiants, des anciens et des nouveaux, des employeurs et des candidats. Ce n’est pas en un article que nous règlerons le problème, si profond que des années ne nous suffiront pas. Mais comme le colibri, nous amenons notre pierre. Une toute petite pierre, placée au centre de notre éco-système mais qui peut apporter du grain à moudre pour notre réflexion commune. On s’y met ensemble ?

 « On ne vient plus acheter ce que vous faites mais pourquoi vous le faites ».

Xavier Alberti, (Les Collectionneurs), lors de la Grande Rencontre du Collège Culinaire de FRance 2021

Le sens, nouvelle valeur centrale

Nous sommes de plus en plus en recherche de sens dans nos actes de consommation et la crise Covid a accéléré ce mouvement. Lors de la table ronde sur « le client-roi » à la Grande Rencontre du Collège Culinaire de France, Xavier Alberti nous a permis de prendre un peu de recul sur un changement profond du rapport client/restaurateur (mais aussi client/hôtelier, client/producteur ou client/artisan), c’est l’importance grandissante des valeurs dans l’échange. « De plus en plus, on ne vient pas chercher quelque-chose mais on vient chercher du sens. On ne vient plus acheter ce que vous faites mais pourquoi vous le faites. On est dans la construction d’un lien qui n’est plus seulement transactionnel mais de plus en plus relationnel. »

Les valeurs de l’entreprise

Lorsque Xavier Alberti décrit le changement profond du rapport entre l’hôtelier-restaurateur et le client, il explique combien pour ce dernier les valeurs de l’entreprise sont aujourd’hui un critère marquant. « Le client est intéressé par la façon dont vous faites votre métier et votre manière de le défendre. Il veut connaitre les pratiques sociales et environnementales que vous avez mises en place, il veut savoir comment vous mettez en valeur le savoir-faire de votre équipe. » 

Analogie avec la pénurie de personnel

Cette réflexion est valable pour la crise du recrutement qui frappe les métiers de l’hôtellerie-restauration. Dans le secteur de la gastronomie, les candidats sont également en quête de sens. Et d’ailleurs, cherchent-ils un emploi ou veulent-ils adhérer à un projet ?

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Si nous ne pouvons garantir un métier facile, à nous de construire le challenge qui les motivera.

Les causes multiples

Le salaire ? Les horaires ? Les week-end ? L’ambiance ? La pénibilité ? Tout en même temps, sans doute. Mais aussi une valeur travail en perte de vitesse, une certaine acceptation de la facilité, la satisfaction mesurée d’un bon rapport entre salaire et temps de travail, le souhait de l’autonomie mais sans les responsabilités, le choix d’une vie familiale et de loisirs préservée (sans horaires décalés et avec week-end)… Pas mal de critères en somme, la plupart légitimes mais difficiles à corriger, qui nécessitent une remise à plat profonde que de nombreuses maisons ont entamée (certaines étant même très avancées et cela se voit sur leurs recrutements) mais qui ne sera pas aboutie en quelques mois.

Le serpent se mord la queue

Les clients affluent, les équipes sont à fond et manquent de bras pour accueillir tout le monde. La maison tente de recruter mais personne ne se présente. Même en bloquant le nombre de couverts, l’équipe est à bout. Le rythme est difficile. Miracle, deux candidats viennent renforcer la brigade. Mais il en faudrait cinq pour tenir bon. Les nouveaux trouvent le quotidien intenable et s’épuisent. Ils repartent aussi sec. Parfois pour la maison d’à côté qui propose un salaire plus élevé et n’a d’autres solutions que de les recruter. Même s’ils ne sont pas partis proprement de chez le confrère, on n’a pas le choix, on prend quand même. Mais l’herbe n’est pas plus verte et le rythme est le même, le candidat repart ailleurs. Alors que faire ?

Le faux problème de la qualification

On ne peut pas argumenter sur le manque de formation ou d’exigences excessives de qualification : aujourd’hui quelqu’un de motivé et de ponctuel trouve en emploi dans l’hôtellerie-restauration dans la minute, quelque-soit son niveau. La pénurie de personnel en est à un tel point que le premier débutant venu, s’il est sérieux, sera accueilli avec des fleurs Et ceux qui ont claqué la porte n’auront aucune peine à trouver ailleurs. Autrefois les restaurateurs s’appelaient entre confrères pour se conseiller les candidats, aujourd’hui ils n’ont plus ce luxe. Ils prennent qui se présente. Où sont passées les piles de CV sur les bureaux des grandes maisons ? Tous les établissements sont à la peine aujourd’hui. Tous ? Quelques-uns s’en sortent mieux que d’autres. Ils ne proposent pas un emploi mais un projet.

Emploi ou projet ?

Nombreux sont ceux qui ont changé de voie et ont choisi de quitter la restauration. Changement de vie quotidienne ou remise en question profonde ? Beaucoup ont apprécié la vie de famille sans horaires décalés avec leurs proches et aspirent à un métier qui leur permettra de mieux équilibrer vie professionnelle et vie privée. À ceux-là, on peut proposer un emploi dont les attraits concrets seront valables et durables : des horaires, un salaire, une bonne ambiance de travail, une pénibilité et un investissement mesuré. Il faut le dire, puis appliquer dans les actes ce que l’on a promis.

D’autres ont une réflexion plus personnelle : s’ils s’engagent dans ce métier, c’est pour une bonne raison. Une vocation, une envie d’apprendre qui dépasse la moyenne, une envie de participer à quelque-chose qui les dépasse : à ceux-là, on peut proposer un projet. Une ouverture, un challenge, un renouveau, une aventure dont ils seront les acteurs principaux. Et les contraintes pèseront moins lourd.

Enfin, certains ont un coup de cœur humain et professionnel pour leur boss, un homme ou une femme qui a un charisme incroyable, qui nourrit votre quotidien, qui vous le rend bien par sa considération et son écoute et que l’on n’a pas envie de lâcher. Où qu’il aille, où qu’elle aille, on suit.

L’affect redevient autorisé

À tous, il faut garantir un management où l’humain est en première ligne. Longtemps dans le monde professionnel, on nous inculqué la distance. On nous a interdit l’affect en nous demandant de ne pas nous impliquer personnellement. Qu’importe la difficulté du relationnel dans l’entreprise puisque nous aurions ainsi une carapace qui nous protègera. Mais on ne se refait pas et il me semble que l’affect soit à nouveau toléré dans les rapports professionnels. On a le droit aujourd’hui de s’engager dans un projet où l’humain est la porte d’entrée et parfois même la première motivation.

Et si le projet est un challenge dont les valeurs humaines sont placées au centre, c’est jackpot.

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