Les projets de fin d’année sont une illustration marquée des valeurs responsables de l’ENSP à Yssingeaux. Sur cette thématique, la cuisine avait sans doute un temps d’avance sur la pâtisserie. Depuis longtemps, Alain Ducasse fait bouger les lignes. Le Chef a marqué de son empreinte les campus d’École Ducasse et de l’École Nationale Supérieure de Pâtisserie à Yssingeaux. Luc Debove, Directeur et Chef Exécutif de l’ENSP, nous décrit comment l’école entièrement consacrée aux arts sucrés met ces valeurs en pratique.
Depuis longtemps, Alain Ducasse, précurseur des notions de Naturalité et de Desseralité en emmenant avec lui Romain Meder et Jessica Préalpato, poussait encore plus loin la révolution sucrée. « Moins de gras, moins de sucre », répète-t’il à ses équipes. Le Chef porte les valeurs de l’engagement responsable sur le plan de l’environnement, mais aussi de la santé, et les campus d’École Ducasse s’en font l’écho.
Il y a quelques années, nous avions abordé ce thème capital avec Pierre Hermé et Frédéric Bau. Il manquait une prise de conscience de la profession : sur le thème de l’engagement responsable, la pâtisserie était en retard sur la cuisine. Ces échanges ont participé à une réflexion collective sur la saisonnalité et les colorants. Frédéric Bau a été marqué par une conférence de Pierre Gagnaire sur la responsabilité de la profession sur la santé des consommateurs. Ainsi est née la « pâtisserie raisonnée », notion qu’ils ont construite ensemble avec Pierre Hermé.
La force des convictions
La profession a opéré un virage récent qui prend de l’ampleur, poussée par des consommateurs impliqués qui s’inquiètent de la saisonnalité de leurs achats. Les écoles ont parfois du mal à suivre cette nouvelle orientation alors qu’ils sont contraints dans un programme assez rigide et un processus d’achats complexe. Pourtant, quand il y a volonté et convictions, c’est possible : L’ENSP (École Nationale Supérieure de Pâtisserie à Yssingeaux, École Ducasse), montre la voie. Son Directeur et Chef exécutif Luc Debove nous décrit l’évolution de la formation, qui s’adapte aux valeurs portées par l’école, et nous explique combien les projets de fin d’année illustrent l’implication des élèves : non seulement ils se sont approprié ces notions, mais ils les portent encore plus loin.
Les projets de fin d’étude des élèves de l’ENSP, sont décrits par Luc Debove, Directeur et Chef Exécutif de l’École Nationale Supérieure de Pâtisserie d’Yssingeaux.
« Dans le programme, nos élèves ont une matière qui s’intitule “Recherche & développement“. Mais au-delà de ça, ces dernières années, nous avons observé qu’automatiquement, et sans que nous ne leur imposions, ils prennent en considération le sourcing, la gestion des déchets et le recyclage dans la construction de leur projet de fin d’année, sur lequel ils ont entièrement la main. Nous avons souvent été bluffés avec l’équipe pédagogique. Nous nous sommes dit que ça allait vraiment dans le bon sens. Une année, un binôme avait décidé que leur buffet serait entièrement végan parce qu’ils estimaient qu’il faudrait bientôt répondre à cette tendance. Ils se sont creusé la tête pour éliminer toutes les protéines animales et substituer les œufs, le lait et le beurre, mais tout en gardant exactement les mêmes contraintes que leurs camarades. »
Nous pouvons imposer dans une épreuve le sujet de la revalorisation des produits invendus dans un sujet R&D, par exemple, mais on se rend bien compte que dans le projet qui finalise leur diplôme, sur lequel eux seuls ont la main, cette prise de conscience est totalement intégrée à leur réflexion.
Luc Debove, Directeur et Chef Exécutif de l’École Nationale superieure de Pâtisserie d’Yssingeaux – École Ducasse
Un état d’esprit responsable
« On donne les clés qui leur permettent d’acquérir un état d’esprit. On leur explique que le croissant aux amandes n’est ni plus ni moins qu’un croissant qui n’a pas été vendu la veille et dans lequel nous avons ajouté une crème d’amande avant de la repasser au four. Non seulement il n’est pas perdu, mais il sera vendu plus cher. La pâtisserie de demain, c’est aussi la revalorisation de l’invendu en cherchant à améliorer un produit qui reste. Et lorsque nous imposons cette thématique dans une épreuve de fin d’année pour préparer leur buffet, cela montre aux élèves toute l’importance que ce sujet a dans notre métier. On se retrouve alors avec des pâtisseries qui sortent vraiment de l’ordinaire et qu’ils n’auraient jamais imaginées sans cette contrainte. »
« En les faisant réfléchir à ces sujets, nous préparons les chefs de demain. Automatiquement, nous ouvrons leur champ des possibles pour le futur. »
Luc Debove, Directeur et Chef Exécutif de l’École Nationale superieure de Pâtisserie d’Yssingeaux – École Ducasse
Mesurer ses déchets
« Nous avons eu aussi des élèves qui ont pesé tous leurs produits et leurs déchets car ils avaient calculé avec précision toute leur fabrication afin d’avoir le minimum d’ingrédients non utilisés. Sur cette thématique, peut-être que demain, l’IA pourra nous accompagner sur la conception des gâteaux en intégrant ces contraintes. Notamment pour travailler sur les allergènes et leurs substituts, avec la possibilité de trouver des alternatives naturelles. »
« À l’école, nous avons aussi travaillé sur les colorants naturels alimentaires, et nous avons été force de proposition pour certaines marques. Bien sûr depuis mon apprentissage, tout cela a bien évolué et bien des colorants que j’utilisais pour la partie artistique ne sont plus utilisés aujourd’hui. »
Luc Debove, Directeur et Chef Exécutif de l’École Nationale superieure de Pâtisserie d’Yssingeaux – École Ducasse
Le recyclage du déchet pâtissier
« Le déchet végétal de cuisine est parfait pour faire un compost. Nous sommes en réflexion pour nous unir avec le lycée agricole pour mettre notre compost en commun. En cuisine, les protéines animales sont souvent réutilisées dans les bouillons et les sauces, mais le déchet pâtissier est bien plus problématique, parce qu’il est gras. Aujourd’hui nous essayons de les donner aux agriculteurs et aux fermiers de la région, pour leurs animaux. Peut-être que demain, grâce à la technologie et nos nouvelles connaissances, nous saurons résoudre ce problème. L’intelligence artificielle va nous ouvrir le champ des possibles. Il ne faut pas le voir comme un ennemi, mais comme un support, par exemple sur la combinaison de produits ou sur la manière de les recycler. »
Les « invendus » de l’ENSP : « Toutes les semaines, nous donnons les gâteaux réalisés aux écoles primaires, aux EHPAD et aux hôpitaux parce que ce sont de très bons produits. On a une rotation : les écoles viennent chacune leur tour et repartent avec les pâtisseries que nous avons mises de côté pour eux, cela permet aux élèves des écoles primaires de la région, d’avoir des goûters sans produits industriels. »
Un critère de recrutement capital
Lorsque Luc Debove recrute un nouveau chef formateur, il est attentif à la thématique responsable. Mais il n’aborde pas le sujet lui-même : « Bien sûr, c’est un critère très important et nous devons en discuter avec les personnes que nous envisageons de recruter, mais on les laisse venir elles-mêmes sur le sujet. On leur demande leur vision sur la pâtisserie de demain, des idées de projets qu’elles aimeraient mettre en place… C’est là que l’on voit si c’est un engagement capital pour eux. Nous avons des professeurs impliqués, qui s’emparent de ces sujets et sont force de proposition pour travailler sur des cours un peu spécifiques, qui vont au-delà du programme classique. En plus de ma casquette de directeur, je suis également le Chef exécutif. Nous travaillons avec l’équipe sur les programmes pédagogiques. Ce groupe de travail envisage les tendances de demain et fait des propositions sur ce que nous devons adapter le programme. »
« Quand vous venez à l’ENSP, c’est pour aller plus loin que le programme académique. Et notamment toute la partie R&D, qui est une thématique primordiale chez nous. »
Luc Debove, Directeur et Chef Exécutif de l’École Nationale superieure de Pâtisserie d’Yssingeaux – École Ducasse
La ligne d’Alain Ducasse
« Nous échangeons beaucoup avec Alain Ducasse. Il estime que le sucre peut être un exhausteur de goût, mais qu’à forte dose, il inhibe les saveurs. Nous souhaitons tendre vers des pâtisseries moins sucrées et plus légères, mais qui reflètent toutes les saveurs aromatiques du produit que nous travaillons. C’est la ligne directrice. En nous poussant dans nos retranchements, il nous permet de faire évoluer les recettes et de faire évoluer le métier. »
La force de l’ENSP – École Ducasse
- Le plus grand campus au monde dédié aux Arts pâtissiers.
- 22 professeurs à l’année.
- Saisonnalité, circuit courts, tri sélectif et gestion des déchets font partie des valeurs de l’École, portées par l’équipe pédagogique.
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