Les graines de tomates de Pascal Antigny en Picardie : chaque filtre à café contient une variété.
Nous sommes nombreux à avoir salué la parution au journal officiel du 11 juin dernier d’un texte annonçant vulgairement « la vente libre des semences non inscrites au catalogue officiel ». Attention aux raccourcis : l’autorisation ne concernait que les jardiniers amateurs. Rien n’avait bougé pour la vente des plants et des semences aux professionnels. Alors oui c’était un petit pas, mais il y avait encore du boulot. Et là dessus, le 23 juin 2020, la Commission européenne a rétoqué le texte. Sauf que la loi française a déjà été promulguée.
Effet d’annonce…
Reprendre une information et la résumer en une phrase, partager puis sauter de joie sans avoir saisi les détails, c’est aller un peu vite. Si on se penche vraiment sur la question, si on appelle tout son réseau pour démêler le machin, si on reprend les textes depuis 1932 jusqu’au 11 juin dernier, on se rend compte des avancées, des marches arrière et de ce qu’il reste à accomplir. On avait presque une petite avancée avec l’autorisation de vente aux jardiniers amateurs. Et puis le 23 juin 2020, la Commission européenne s’est opposée à cette mesure au motif que tous les échanges de semences « devaient être soumis à la législation européenne sur le commerce de semences ». Sauf que la France avait déjà adopté le texte. Il y a donc un petit malentendu, avec deux versions contradictoires. On suit le texte français ou l’opposition de l’Europe ? Nous voici repartis dans des batailles juridiques complexes et sans fin.
Nous avons creusé !
Il se trouve qu’avec Bruno Fournier et Pascal Antigny, nous étions déjà sur le coup pour parler du sujet, ça tombait bien. Un coup de fil aussi à Pierre Gayet, à Daniel Vuillon, à François Burgaud du Gnis… Bref, on a creusé pour aborder ce dossier de manière approfondie. Voici pas mal d’éléments à vous soumettre pour que chacun puisse mesurer la juste conséquence de cette parution au JO, puis sa non-mise en application : en résumé, pas grand-chose.
Et pour ça, on est sympa, on vous fait une synthèse et en dessous, on vous ajoute les textes, (qui ne sont pas faciles à trouver, mais on a bien cherché…)
Michourine (©Pascal Antigny) Green Tiger (© Bruno Fournier)

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En résumé
Pour vous la faire courte, avant 1932 on faisait ce qu’on voulait, et depuis 1932 il y a un « catalogue officiel des espèces et variétés ». Depuis cette date, un comité technique permanent de sélection de plantes cultivées et homologuées décide des variétés inscrites au catalogue. Les semences ne peuvent être vendues comme graines ou plants qu’après inscription au catalogue. L’inscription coûte cher et n’est pas simple à mettre en oeuvre. Voilà, on a posé le cadre.
Ce qui change depuis le 11 juin 2020 ?
Juste un petit mot, le terme « onéreux ». Jusqu’ici, les semences et les plants pouvaient être échangés gratuitement entre amateurs, et notamment entre membres des associations de passionnés. Aujourd’hui les semences peuvent être vendues. Mais toujours uniquement aux amateurs : la mention « des utilisateurs finaux non professionnels » marque bien que cette autorisation exclut les professionnels : pas d’utilisation commerciale possible.
« Depuis toujours, je prône la désobéissance civique. Quitte à prendre le risque de voir ma production détruite, où même d’aller en prison. Je prends ce risque car il est proportionnel à l’importance que j’accorde à la cause : la liberté de faire pousser et de reproduire les variétés qui conviennent à notre terre est déterminante.»
Daniel Vuillon, Les Olivades, Ollioules.
Nous sommes hors la loi
- Autrement dit, un chef qui cultive ses tomates pour les servir au restaurant (donc pour une utilisation commerciale) ne peut pas acheter de semences non inscrites au catalogue ou de plants à cette fin ?
- Donc un maraîcher qui souhaite vendre des tomates aux restaurateurs ne peut pas acheter de plants de variétés non inscrites au catalogue ?
« Vous avez parfaitement résumé la situation », reconnait le directeur des relations extérieures du Gnis François Burgaud. « Hors-la-loi, oui, mais on ne risque pas grand-chose. C’est une règlementation que personne ne peut appliquer. Il y a eu en effet des verbalisations à l’époque, pour vente de variétés non inscrites, qui ont fait grand bruit mais qui n’ont pas été payées en fin de compte. » Donc ce texte du 11 juin dernier ne change rien sur le plan professionnel puisqu’il ne concerne que les amateurs.
C’était simple, pourtant…
« C’est une situation absurde », poursuit François Burgaud. « Le Gnis a remis en avril 2019 une proposition au Ministère de l’Agriculture qui prévoyait de simplifier l’inscription des variétés par une simple déclaration gratuite du type : Mon nom, mon adresse, j’ai des graines de courge qui viennent du jardin de mon grand-père à tel endroit, cela ressemble à telle variété. Et cela suffisait pour vendre ses graines. Cette recommandation n’a jamais été suivie et c’est dommage. » Mais pourquoi ? Aucune réponse. « On se demande parfois si les gens décident quelque-chose en réfléchissant sur le fond du problème, ou s’ils se laissent embarquer dans des batailles idéologiques d’un bord ou d’un autre, sans se poser la question de l’intérêt même du sujet », regrette François Burgaud.
Liste ou pas liste ?
Certains souhaitent une libre circulation des semences sans inscription préalable, le Gnis est plus nuancé : « Nous trouvons que ce n’est pas mal qu’une liste existe avec des noms de variétés. L’expérience malheureuse de la « fausse Cœur de Bœuf » il y a quelques années nous a montré que n’importe qui pouvait vendre n’importe quoi en l’appelant comme il veut. Mais il faut que ce soit facile, sur simple déclaration, et gratuit.»
« D’où ça vient, quelle variété, qui l’a cultivée et comment ? »
Et là, nous entrons petit à petit dans la question de la traçabilité : tout n’est pas inscrit sur l’étiquette. C’est à nous d’interroger le producteur s’il est en face de nous. Mais quand il s’agit d’un intermédiaire, nous avons bien du mal à obtenir des réponses à nos questions. Certains primeurs sur le marché attaquent le chaland à coup d’étiquette « Pays » et nous rassurent à coup de « ce sont de petits producteurs de la région« . « Oui mais qui et où ? » Gros blanc… Début des ennuis, j’ai cassé l’ambiance.
A suivre !
Voilà voilà… Aujourd’hui on reste en France avec la loi effectivement promulguée qui permet cette vente effective de graines aux jardiniers amateurs, mais tout en ayant une opposition de la Commission européenne. Nous serions étonnés que l’Europe aille jusqu’au contentieux avec la France pour faire entendre cet avis contradictoire avec ses intentions d’assouplir la commercialisation des semences.
A suivre, un focus « variétés de tomates » dans le numéro 8 du Coeur des Chefs. Abonnez-vous pour le recevoir.
Le dossier « Nourrir la France » dans #lecoeurdeschefs est in progress.
Merci à Bruno Fournier, (Le Beausset, Association “Tomatophiles”), Pascal Antigny, (Picardie, Association “Cultive ta rue”), Pierre Gayet, (Domaine des Vernins à Dornes dans la Nièvre), Daniel Vuillon (Les Olivades, Ollioules) et François Burgaud, directeur des relations extérieures du Gnis. Copyright Photos : Pascal Antigny et Bruno Fournier.
Alerte au Mexique
A noter, Pierre Gayet nous signale qu’au Mexique, les chefs alertent sur la possibilité d’une loi qui interdise la libre circulation des semences : Une pétition est en ligne.
Les textes officiels
Ci-dessous l’article de 2016 modifié le 11 juin 2020 : vous avez les deux versions. Il n’y a que la mention « à titre onéreux » qui change, c’est toujours uniquement pour les non professionnels :
Août 2016 : Article L661-8
- Modifié par LOI n°2016-1087 du 8 août 2016 – art. 11
- Les règles relatives à la sélection, la production, la protection, le traitement, la circulation, la distribution et l’entreposage des semences, des matériels de multiplication des végétaux, des plants et plantes ou parties de plantes destinés à être plantés ou replantés, autres que les matériels de multiplication végétative de la vigne et les matériels forestiers de reproduction, ci-après appelés » matériels ” en vue de leur commercialisation, ainsi que les règles relatives à leur commercialisation, sont fixées par décret en Conseil d’Etat. Ce décret fixe :
- 1° Les conditions dans lesquelles ces matériels sont sélectionnés, produits, multipliés et, le cas échéant, certifiés, en tenant compte des différents modes de reproduction ;
- 2° Les conditions d’inscription au Catalogue officiel des différentes catégories de variétés dont les matériels peuvent être commercialisés ;
- 3° Les règles permettant d’assurer la traçabilité des produits depuis le producteur jusqu’au consommateur.
- La cession, la fourniture ou le transfert, réalisé à titre gratuit [Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-737 DC du 4 août 2016.] de semences ou de matériels de reproduction des végétaux d’espèces cultivées de variétés appartenant au domaine public à des utilisateurs finaux non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la variété n’est pas soumis aux dispositions du présent article, à l’exception des règles sanitaires relatives à la sélection et à la production.
Journal Officiel du 11 juin 2020
- Modifié par LOI n°2020-699 du 10 juin 2020 – art. 10
- Les règles relatives à la sélection, la production, la protection, le traitement, la circulation, la distribution et l’entreposage des semences, des matériels de multiplication des végétaux, des plants et plantes ou parties de plantes destinés à être plantés ou replantés, autres que les matériels de multiplication végétative de la vigne et les matériels forestiers de reproduction, ci-après appelés » matériels ” en vue de leur commercialisation, ainsi que les règles relatives à leur commercialisation, sont fixées par décret en Conseil d’Etat. Ce décret fixe :
- 1° Les conditions dans lesquelles ces matériels sont sélectionnés, produits, multipliés et, le cas échéant, certifiés, en tenant compte des différents modes de reproduction ;
- 2° Les conditions d’inscription au Catalogue officiel des différentes catégories de variétés dont les matériels peuvent être commercialisés ;
- 3° Les règles permettant d’assurer la traçabilité des produits depuis le producteur jusqu’au consommateur.
- La cession, la fourniture ou le transfert, réalisé à titre gratuit ou à titre onéreux [Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-737 DC du 4 août 2016.] de semences ou de matériels de reproduction des végétaux d’espèces cultivées de variétés appartenant au domaine public à des utilisateurs finaux non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la variété n’est pas soumis aux dispositions du présent article, à l’exception des règles sanitaires relatives à la sélection et à la production.
Pour aller plus loin :
- Le lien vers le dossier législatif de la proposition de loi : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/articles_loi_egalim
- Le lien vers la loi publiée au Journal Officiel :https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041982762&categorieLien=id
- Le lien vers l’article L. 661-8 du code rural et de la pêche maritime: https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000033033639&cidTexte=LEGITEXT000006071367&dateTexte=20160810