Franck Cerutti, l’homme de l’ombre, qui a passé plus de trente ans auprès d’Alain Ducasse a pris sa retraite cet été et même s’il ne fait pas son âge, il était indispensable de marquer le coup. Nous partageons pour l’occasion notre entretien phénoménal avec le bonhomme sur la terrasse du Grill à l’Hôtel de Paris en 2017. Tout y est : son amour des courgettes-violons, son sens de la transmission et sa complicité avec Jacques Maximin. Un très grand monsieur.
2017, Hôtel de Paris, Monaco
Comme toujours, l’homme qui se trouve derrière la veste ressemble à sa cuisine. Après 30 ans passés auprès d’Alain Ducasse, Franck Cerutti aurait pu se faire distant et peu disponible. C’est tout l’inverse. Le chef exécutif de l’Hôtel de Paris à Monaco, (qui vient de laisser sa place à Dominique Lory en cet été 2022), s’émerveillait toujours des premières courgettes-violons de sa région et nous recevait sans manières sur la terrasse du 8ème étage avec Patrick Laine, responsable du Grill. À l’époque, ils lancent ensemble la renaissance de cet endroit emblématique avec le toit ouvrant, la rôtissoire et les soufflés servis à la cuillère. Dans l’entretien ci-dessous, on se régale d’échanger avec le chef sur la provenance de ses poussins et d’approfondir sa philosophie de transmission. Et au détour de la conversation, on remercie Maximin de nous l’avoir remis dans les rails à ses débuts. Grand moment.
Un grill marin
Contraste d’une cuisine qui tombe sous le sens, épatante de simplicité, réalisée avec les plus beaux produits du coin dans un panorama monégasque à couper le souffle où le toit s’ouvre et se ferme pendant le déjeuner : en quelques mots, voici comment on pourrait résumer cette renaissance du Grill. Après deux ans de travaux, l’équipe de Franck Cerutti était impatiente. « C’est parti comme ça : Alain Ducasse m’a dit « faisons un grill marin, un grill de la Méditerranée ». Alors nous sommes allés chercher les vrais gamberoni mais aussi les pistes et les petits calamars aux chapeaux sautés et tentacules Crispy. C’est la cuisine que le Chef (Alain Ducasse) a envie de manger quand il arrive à Monaco. Il faut que ce soit d’ici, il faut que ce soit la saison. Et chaque ingrédient doit être bon parce qu’il n’y a aucun artifice. »
« Alain Ducasse préfère que nous prenions du temps à cuisiner plutôt qu’à dresser. Il n’a pas changé et je dirais même qu’il est de plus en plus intégriste sur les produits ».
Franck Cerutti
Primeurs d’exception
Dès que les premiers haricots verts sont cueillis, ils sont en cuisine. Pour Patrick Laine, la ligne de conduite est limpide : « De bons produits cuisinés simplement, assaisonnés avec justesse, et un bon jus. » Franck complète : « c’est le plus simple qui est le plus difficile. Et de toutes façons, je n’ai plus la patience : ça me plait tellement de cuisiner comme ça, au moment ! »
Sur son grill de compétition (on ne se baisse plus pour arroser les poulets !), le chef cuit son agneau à la broche puis au four et joue avec les pépites de saison : « Le risotto est une de nos spécialités, il est décliné dès qu’arrive un nouveau produit de la région : au printemps, on y met les premières courgettes, les premières amandes fraîches et les boutons de girolles. Pour les pommes soufflées nous choisissons la variété Agria que nous prenons à Lantosque, en Vésubie, au nord de Monaco. Nous faisons également venir d’une petite ferme d’Ecosse un saumon Le Borvo servi juste coupé en tranches avec quelques pickles. Mais ce que je préfère, c’est sans doute la salade niçoise monégasque à partager : bâtons de céleri, concombre, mesclun, tomate et tomates confites, basilic, ventresca, anchois italiens, ciboulette, radis et huile d’olive d’Arma di Taggia au citron. »
Le poussin sinon rien…
Les habitués du Grill attendaient la réouverture. Il fallait respecter cette fidélité et retrouver sur la carte le fameux poussin et les pommes soufflées. « Je comprends que nos clients veuillent garder ce plat : c’est très bon ! Mais on a retravaillé la provenance parce qu’on voulait lui donner plus de goût. Celui qui nous vient du Piémont pèse tout juste 500 g. »
« Le poussin de 71 jours : on lui glisse sous la peau du laurier, du thym, du romarin, du serpolet, du citron et du beurre. On le bride ainsi et on laisse pendant trois jours le beurre ainsi enfermé s’imprégner du parfum des herbes avant de le cuire. »
Le soufflé est également incontournable, parfumé au chocolat, au Grand-Marnier ou aux fruits. On garde l’essentiel, on affine l’objectif, on enlève l’optionnel : « Nous avons toujours la même base de pâtissière dont nous avons encore abaissé le taux de sucre, ainsi qu’une belle proportion de blancs et une purée de fruits frais bien réduite (ou du chocolat de la Manufacture). On a arrêté de chemiser le moule de sucre en poudre avant cuisson et ça pousse quand même ! »
Transmission : l’esprit Cerutti
Tous ceux qui ont travaillé à ses côtés en gardent un souvenir ému. Franck Cerutti prend ses gars par la main et cuisine avec eux. Quand on demande à Patrick Laine ce qu’il représente pour lui, la réponse est limpide : « Il est mon mentor. Sur tous les domaines. C’est lui qui m’a raconté l’histoire de chaque produit. Il montre, il transmet, il accompagne. »
Franck Cerutti reconnaît qu’autrefois, les cuisiniers parlaient peu avec leur équipe et que les temps ont changé : « Pour qu’ils restent avec toi, il faut les motiver et rester avec eux. Être juste, sincère, honnête et travailleur. J’ai un lien avec chacun. Le Louis XV n’est plus forcément un passage obligé mais les Maisons Ducasse restent une famille, un état d’esprit partagé. »
« La cuisine, je l’ai apprise avec Jacques Maximin et je l’ai comprise avec Alain Ducasse. »
FRanck Cerutti
Une passion rattrapée au vol par Maximin
« En 78, je venais de commencer dans le métier mais j’allais arrêter. J’avais 18 ans. Dans les palaces on remontait la même béarnaise tous les jours, avec le même fond du 1er janvier au 31 décembre. Quand on hachait le persil frais, on le pressait ensuite pour en extraire le jus et on le faisait sécher sur le fourneau… Un jour j’ai écrit à Jacques Maximin que j’avais très envie de le rejoindre au Négresco. J’ai vu travailler le gars qui faisait tous ses légumes et qui cuisinait au moment : il m’a passionné. Avec lui, il fallait être vif et il fallait s’accrocher pour rester. Il écrivait le menu qu’il collait sur la vitre de son bureau. Nous, on devait imaginer ce qu’il avait voulu dire par des intitulés du style « Cèpes de derrière les fagots »… Quand il arrivait vers 19h00, si ce n’était pas ce qu’il avait imaginé, on recommençait. C’est un affectif qui dit souvent « Quand vous aimez ce métier, il vous donne tout. »
Franck Cerutti
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