Quand le nouveau conseil d’administration des Grandes Tables du Monde se réunit, les membres travaillent ensemble avec la richesse de leurs différences pour tracer le chemin commun des cinq prochaines années. Une réflexion qui les propulse dans l’avenir avec une question commune : « Comment voyons-nous l’association dans cinq ans ? » Le Cœur des Chefs s’est penché sur cette question avec quelques témoignages qui en disent long sur la dynamique collégiale enclenchée par une telle diversité de personnalités.
Un nouveau conseil d’administration
Lors du Congrès de l’Association Les Grandes Tables du Monde à Milan, douze membres ont été élus lors d’un vote digital pour constituer le nouveau conseil d’administration, qui a choisi à l’unanimité de renouveler sa confiance à David Sinapian, reconduit pour un nouveau mandat de cinq ans en tant que Président. Le CA reflète parfaitement la diversité de l’association d’aujourd’hui, avec les piliers historiques Marc Haeberlin et Antonio Santini, garants des fondamentaux, et la nouvelle génération avec la transmission vivante des maisons familiales, comme Eléonore Guérard et Bérangère Loiseau en France, mais aussi Giovanni Alajmo ou Sebastian Finkbeiner en Allemagne. Nicolas Brossard et Julien Royer, qui étaient entrés en cours de mandat, ont été confirmés par le vote. Jean-Alain Baccon les a rejoints, ainsi que les chefs-propriétaires Emmanuel Renaut et Olivier Bellin.

Un premier séminaire du Conseil d’Administration à Lausanne
Le nouveau conseil d’administration des Grandes Tables du Monde s’était réuni à Lausanne pour un premier séminaire dédié aux projets de l’association. Pendant deux jours, les membres ont travaillé ensemble avec la richesse de leurs différences, pour tracer le chemin commun des cinq prochaines années. Ce rendez-vous était une réussite d’organisation et de créativité accompagnée : les membres du Conseil nous ont décrit un séminaire structuré de très haut niveau.

Du brainstorming réalisé lors du séminaire de Lausanne est née une réflexion qui a propulsé les membres dans l’avenir avec une question commune : Comment voyons-nous l’association dans cinq ans ? Tour de table avec quelques témoignages qui en disent long sur la dynamique collégiale enclenchée par une telle diversité de personnalités.


Giovanni Alajmo, Le Calandre et Quadri, ( Italie) et Sesamo, (Marrakech)
« J’ai eu la chance incroyable de grandir aux côtés de Raf, mon père et de Max, mon oncle, qui me racontaient ces rendez-vous avec les grands de la gastronomie. Aujourd’hui, je suis très motivé par l’idée de travailler à l’avenir de notre monde culinaire avec des personnalités telles que Antonio Santini ou Marc Haeberlin, qui sont pour moi des maîtres. Nous avons une vision commune sur le rôle du restaurateur et l’association permet de mettre l’accent sur ce métier qui le mérite.
Notre nouvelle génération a une autre manière de raisonner. Il y a le modèle de nos parents, qu’il ne faut pas forcément reproduire, il y a des valeurs à garder et d’autres à développer.
Nous avons littéralement rempli un mur d’idées et Betty Marais, (déléguée générale de l’association Les Grandes Tables du Monde), va avoir beaucoup de travail pour les prioriser ! Ainsi, nous avons touché du doigt la richesse de réflexion qui peut éclore quand nous sommes tous réunis. Plusieurs projets sont au programme, comme les dîners à quatre mains entre membres ou la création d’une application pour valoriser nos maisons. En tant que passionné des nouvelles technologies appliquées à la restauration, je suis certain que l’IA peut faciliter le travail de l’humain en donnant de la vitesse à des processus longs, comme sur la gestion des réservations, même nous devrons toujours attentivement la contrôler. D’autre part, nous sommes convaincus que la restauration responsable doit être totalement intégrée dans l’ADN de l’association.
Beaucoup de choses sont en train de bouger et certaines destinations gastronomiques inattendues vont sortir du lot. Dans les cinq ans à venir, il faudra que les tables gastronomiques aient une identité, soit agiles et attentives à tout ce qui impacte notre métier, mais soient surtout respectueuses de l’environnement, du personnel et de nos clients. De plus en plus, il faut être concret et faire manger les gens à un prix cohérent avec ce qui leur est proposé. Nous devons être prêts aux bouleversements qui nous attendent, et je pense que l’association est en capacité d’accompagner ses membres vers ces changements. »
Eléonore Guérard, Les Prés d’Eugénie à Eugénie-les-Bains
« Même si je connais bien l’univers associatif, et je m’y suis déjà fortement engagée auparavant, j’arrive totalement vierge aux Grandes Tables du Monde, mais avec une forte envie de me rendre utile. Nous, hôteliers et restaurateurs, on se sent parfois un peu seuls face à ce monde qui bouge. Avec beaucoup d’humilité, j’ai voulu d’abord observer puis m’intégrer avant de formuler des convictions.
Pendant ces deux jours, j’ai découvert des gens exceptionnels par leur diversité, avec l’envie de convaincre, mais sans jamais s’imposer. On nous a demandé de travailler sur les projets qui nous tiennent à cœur sur les cinq ans à venir, notre manière de voir l’association et notre action. David et Betty avaient déjà réfléchi et nous ont demandé de les challenger sur différents sujets : nous en avons rajouté d’autres, et surtout, nous les avons priorisés.
Nous avons un double travail à accomplir : tout d’abord mieux faire connaître l’association au grand public, tout en travaillant pour nos membres afin de répondre à leurs besoins : cela passera aussi par de petits actes, concrets et pragmatiques, comme le fait de se recommander entre nous des outils ou des fournisseurs qui nous facilitent la vie en améliorant la communication interne entre nous. Plus que jamais, l’association devient un centre de ressources entre confrères. Cette entraide et ces échanges, toujours dans un état d’esprit de franche camaraderie, sont l’essence même des Grandes Tables du Monde, que l’on soit un pilier historique ou un jeune établissement qui vient de nous rejoindre.
Lorsque nous étions ensemble au Beau-Rivage, Julien Royer a souligné ces grandes émotions créées par nos maisons, toutes différentes soient-elles, sur des moments éphémères. Mon père disait souvent qu’une grande table est un théâtre et je m’inscris dans cette vision de “marchand de bonheur“ qu’il nous a transmise. »


Jean-Alain Baccon, le K2 à Courchevel :
« Nous avons tous la même dynamique, avec l’envie de faire vivre cette association de manière très collégiale pour que tous les membres s’y retrouvent. Nous sommes issus d’univers différents, c’est ce qui fait notre richesse. Un Olivier Bellin, situé à la pointe de Bretagne, n’a pas le même quotidien que moi au K2, où la clientèle est internationale à 95%. Pourtant, notre vision dépasse les frontières. De France, d’Allemagne ou d’Italie, d’Asie ou d’Amérique, on retrouve quasiment toutes les thématiques : on s’attache à former des jeunes dans nos maisons pour préparer la suite et on se rend compte que l’exigence de nos clients est la même. Il y a souvent une entrée différente, selon que le déclencheur soit la table ou l’hôtel, s’ils viennent pour une nuit ou pour une semaine. Mais tous nos clients sont gastronomes, ils aiment les produits, ils aiment vivre des moments d’exception et nous devons leur offrir du sur-mesure. Nous avons la passion de ces métiers en commun, une profession qui fait oublier le quotidien, le temps une soirée ou le temps d’une semaine. Nous sommes là pour faire plaisir aux gens et pour qu’ils se languissent de revenir.
Chacun a amené des idées sur la façon dont l’association pouvait apporter à chacun de ses membres, dont nous sommes les porte-paroles. De mon côté, je tiens à deux idées fortes. Premièrement, la possibilité de faciliter les échanges de collaborateurs, en postant nos besoins sur le site et en donnant la possibilité de postuler dans les différentes maisons. Cela peut répondre à un besoin de nos établissements. Quand nos jeunes reviennent d’expériences à l’étranger, ils ont grandi. C’est un beau message pour l’association d’être moteur de cette dynamique, en accompagnant les collaborateurs dans leur parcours professionnel. L’humain, c’est l’âme de nos maisons et qu’ils acquièrent cette culture à 360° est une clef capitale pour l’avenir. D’autre part, les membres sont souvent à l’initiative d’évènements comme des quatre mains, en France à l’étranger, et nous voudrions que l’association puisse accompagner la communication de ces moments partagés. »
Bérangère Loiseau, Relais Bernard Loiseau à Saulieu
« Je ne connaissais pas forcément tous les rouages internes de l’association, mais j’avais une envie farouche de participer. Pendant ces deux jours, nous avons vécu une débauche d’idées très cohérentes et on a tout posé sur la table. Cette technique de brainstorming était concrète et efficace pour évoquer ce que nos membres attendent de l’association pour les années à venir. Cela nous a permis de nous projeter. Notre conseil d’administration est très équilibré, avec les fondateurs et la nouvelle génération, tous ensemble pour regarder devant. On a des points de vue très différents, mais convergents. Il y a toujours ce souci de l’autre et de l’excellence, il y a des chefs propriétaires de maisons de famille qui se transmettent et des restaurateurs qui ne sont pas cuisiniers. Notre but ultime restera toujours le client et ce sera toujours lui ce qui nous fera lever le matin.
Certains nous ont ouvert les yeux sur la perception étrangère, comme Julien Royer qui a expliqué combien la fierté d’appartenance était forte à l’international. L’association, fondée au départ sur notre art de vivre français, a réussi à incarner ce rayonnement mondial, et l’avenir est là. La notion de raison d’être de l’association me tient à cœur, pour que les valeurs de l’association soient claires pour les membres et pour les clients. Nous sommes à la croisée des chemins, mais la boussole et la direction commune est la même pour tous. Pour moi, il s’agit de porter les couleurs de la haute gastronomie dans tout son écosystème, avec tous ses métiers et les producteurs, dans la transmission, avec cet ancrage local. Chaque grande table a un impact concret sur son territoire. Elle en est un maillon fort, qui fait caisse de résonance avec tout son environnement. Pour être bien dans notre époque, nous avons évoqué le digital, mais aussi l’envie d’être à l’écoute de jeunes maisons qui souhaitent entrer un jour dans l’association en les faisant progresser grâce à l’aide de membres expérimentés. Plus que n’importe quelle action, les dîners à quatre mains illustrent totalement l’esprit des Grandes Tables du Monde. L’essence de l’association, c’est l’amitié entre les équipes et le partage avec les convives. »


Olivier Bellin, l’Auberge des Glazicks à Plomodiern
« Je voulais faire entendre cette voix des “petites grandes maisons“. Un petit problème dans un grand établissement en ville peut devenir un péril capital dans une petite auberge comme la nôtre, située à l’extrémité de la Bretagne. Cela a fait son chemin pendant quelques mois, et puis je me suis décidé à proposer ma candidature pour intégrer le conseil, qui est totalement renouvelé avec l’arrivée de jeunes entrants. C’est un vrai bureau collégial avec une grande diversité : de fortes personnalités, des visionnaires et des prises de position marquées, même si nous avons tous la même ambition : nous cherchons à laisser une empreinte qui reste à vie dans la mémoire de nos clients. Il y aura des débats avec du caractère, c’est certain ! Quand nous aurons un échange un peu direct, Antonio Santini ou Marc Haeberlin pourront conclure avec sagesse. Il y a beaucoup d’écoute et une envie d’avancer ensemble, en s’adaptant au monde d’aujourd’hui.
La gastronomie est en profonde mutation. Notre rôle est de propulser notre association dans ce monde qui s’offre à nous. Sans jamais perdre de vue l’attente de nos clients, nous devons inclure la jeune génération dans chaque projet, se placer dans le respect de l’environnement et dans nos rapports avec les producteurs qui nous entourent : le circuit-court est pour moi une marque de modernité. C’est le luxe d’aujourd’hui. Nous avons également évoqué la possibilité de créer une sorte d’Erasmus, des échanges de collaborateurs entre les différentes maisons dans le monde, ou la mise en lumière des écoles culinaires dans différents pays, pour souligner le travail de ceux qui forment les cuisiniers de demain. »
Les « petites grandes maisons » : Lorsqu’il s’est présenté lors de la dernière assemblée générale, la prise de parole d’Olivier Bellin a beaucoup touché les membres, comme l’explique David Sinapian : « C’était très pertinent, car beaucoup, en France et à l’étranger, vont s’identifier à ce type de maisons où le chef de cuisine est lui-même le restaurateur, qui accueille ses clients dans sa propre maison. Et c’est cette casquette que chacun doit prendre quand il s’exprime aux Grandes Tables du Monde. »
David Sinapian, Groupe Pic
« Seize candidats pour le conseil d’administration c’est du jamais vu. Cela prouve combien les membres ont envie de s’investir dans l’association. » David Sinapian, Président des Grandes Tables du Monde.


Lorsqu’il s’est présenté il y a dix ans, David Sinapian avait défendu une vision qui portait sur deux axes principaux : le positionnement de chacun en tant que restaurateur, (même si on est aussi chef de cuisine dans son restaurant), et l’ouverture à l’international, tout en préservant le côté amical. Le Président fait le point à l’aube de ce nouveau mandat : « Aujourd’hui, il n’y a plus de débat : chef ou pas, chaque membre se positionne en tant que restaurateur, car c’est celui qui coordonne tous les métiers de sa maison. Et l’ouverture à l’international n’est plus une option : c’est une réalité qui s’est facilement imposée et aujourd’hui 60 % des membres sont étrangers. À partir de là, on peut aller plus loin. Je suis ravi que ce nouveau conseil soit si collaboratif, car nous sommes arrivés à un stade de maturité de l’association, qui a affirmé sa ligne et peut s’appuyer sur la richesse d’un collectif. Nous avons senti qu’il fallait renforcer l’équilibre entre les projets qui vont privilégier les moments d’amitié et ceux qui vont rendre visible l’association et ses membres, et le Conseil d’Administration va décider du niveau des curseurs. »

Le congrès de Milan
Les onze nouveaux membres 2025 ont été présentés lors du Congrès de Milan, accueillis par les chefs Milanais mais aussi par les Napolitains, qui nous ont offert de grands moments de partage et de « generosità », comme le partage du panettone de compétition chez Fabio Pisani et Alessandro Negrini à Voce. Le 70ème congrès aura lieu à Athènes du 12 au 15 octobre 2025.
Au-delà des frontières
Ce n’est plus une « association française qui s’ouvre à l’international » : Aujourd’hui, elle appartient véritablement à ses 198 membres à travers le monde. Beaucoup de tables souhaitent nous rejoindre », confie David Sinapian. « Nous avons eu une vingtaine de candidats cette année et nous en avons gardé onze : trois français et huit étrangers, qui ont tous une forte personnalité. » Depuis 70 ans, l’amitié est en fil rouge, socle fondamental qui réunit ces tables si différentes. En conclusion du congrès de Milan, Nadia Santini a témoigné d’un état d’esprit partagé : « Grâce aux Grandes Tables du Monde, nous savons que nous faisons partie d’une grande famille qui ne s’arrête pas à nos frontières. »
Photos portraits : Léo Ridet sauf les images en N&B : @LE COEUR DES CHEFS / JP Garabedian